<89>sion s'efface bien vite; l'amour-propre n'applaudit qu'avec répugnance. L'on convient sans peine de la beauté de la vertu, parce que cet aveu ne coûte rien; mais cet acte de complaisance plutôt que de conviction ne détermine point à se corriger soi-même, à vaincre ses mauvais penchants, à dompter ses passions. Les platoniciens auraient dû se rappeler l'espace immense qu'il y a entre l'Être des êtres et la créature fragile. Comment proposer à cette créature d'imiter son Créateur, dont par son état circonscrit et borné elle ne peut se former qu'une idée vague et indéterminée? Notre esprit est assujetti à l'empire des sens; notre raison n'agit que sur les choses où notre expérience nous éclaire. Lui proposer des matières abstraites, c'est l'égarer dans un labyrinthe dont elle ne trouvera jamais l'issue; mais lui présenter des objets palpables de la nature, c'est le moyen de la frapper et de la convaincre. Il est peu de grands génies capables de conserver le bon sens en se précipitant dans les ténèbres de la métaphysique. L'homme, en général, est né plus sensible que raisonnable. Les épicuriens, abusant du terme de volupté, énervèrent sans y penser la bonté de leurs principes, et fournirent, par cette équivoque même, des armes à leurs disciples pour dénaturer leur doctrine.
La religion chrétienne, en respectant ce qu'on y suppose de divin, et n'en parlant que philosophiquement, la religion chrétienne, dis-je, présentait à l'esprit des idées si abstraites, qu'il aurait fallu changer chaque catéchumène en métaphysicien pour les concevoir, et ne choisir que des hommes nés avec une imagination forte pour s'en pénétrer : peu d'hommes sont nés avec des têtes ainsi organisées. L'expérience prouve que chez le vulgaire l'objet présent l'emporte, parce qu'il frappe ses sens, sur l'objet éloigné, qui l'affecte plus faiblement; et par conséquent les biens de ce monde, à la jouissance desquels il touche, auront sans contredit la préférence sur des biens imaginaires dont il se représente confusément la possession dans une perspective éloignée. Mais que dirons-nous des motifs qu'on tire de l'amour de Dieu pour rendre l'homme vertueux, de cet amour que les quiétistes exigent dégagé des craintes de l'enfer et des espérances du paradis? Cet amour est-il dans la possibilité des choses? Le fini ne peut concevoir l'infini; par conséquent nous ne pouvons nous former