586. AU CONSEILLER PRIVÉ D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.
Berlin, 12 novembre 1741.
Il y a déjà quelque temps que je n'ai pas lieu d'être fort édifié de la conduite du baron de Brackel, ministre de Russie à ma cour, et on m'a averti de plus d'un endroit qu'il s'émancipe de critiquer toutes mes actions, et de parler avec fort peu de ménagement de moi, en lâchant des traits satyriques partout où il peut, même sur des affaires qui ne regardent aucunement les intérêts de sa cour. Et, comme mon intention est de cultiver avec celle-ci l'amitié la plus étroite, il est naturel que je souhaite d'avoir un ministre de sa part auprès de moi qui me soit agréable, et en qui je puisse prendre de la confiance, ce que je ne saurais jamais avoir en un homme qui paraît aussi peu porté pour moi que propre à entretenir la bonne intelligence et harmonie qui doit subsister entre nos deux cours.
Je suis persuadé que l'on désapprouverait totalement la conduite inconsidérée de ce ministre là où vous êtes, si je voulais m'en plaindre dans les formes — puisque vous savez vous-même combien on est sensible à Pétersbourg sur tout ce que l'on dit ou écrit contre le souverain et sa maison — et que par la même raison on ne trouverait pas à redire que j'exige la même délicatesse et le même ménagement.
Cependant, comme je ne veux point faire de l'éclat, ni même rendre malheureux un homme qui est assez puni par son imprudence, mon intention est que vous fassiez connaître adroitement au comte d'Ostermann, ou là où vous le trouverez à propos, que je serais bien aise qu'on nommât à la place du sieur de Brackel quelque autre ministre, qui me fût plus agréable, et, quoique le sieur de Bestushew qui a été autrefois à ma cour et en dernier lieu en Suède, me conviendrait beaucoup, je n'ai garde pourtant de vouloir prescrire à l'empereur de Russie quel ministre on voudra m'envoyer, puisque tous ceux qui me viendront de sa part me seront toujours agréables, pourvu qu'ils se conduisent avec la circonspection et le ménagement qu'ils me doivent.
Je verrais même volontiers qu'on cachât au sieur de Brackel le motif qui me fait insister sur son rappel, et que cette-affaire se fasse sans le moindre bruit ou éclat, puisque cela pourrait faire un mauvais effet dans le monde, comme s'il y avait quelque refroidissement entre nos deux cours, idée dont je suis si fort éloigné que, si je demande un ministre plus agréable, ce n'est que pour pouvoir prendre plus de confiance en lui et resserrer davantage par son ministère les nœuds d'amitié entre moi et la Russie, et les rendre indissolubles.
Vous ne manquerez pas d'insinuer tout cela au comte d'Ostermann, le plus adroitement qu'il est possible, et de mander ensuite sa réponse.
Federic.
H. de Podewils.
Nach dem Concept.