136. AU CONSEILLER PRIVÉ DES FINANCES DE BORCKE A VIENNE.
Berlin, 5 novembre 1740.
J'ai vu par la vôtre du 26 du mois passé comme quoi on est assezprésomptueux à la cour où vous êtes, de croire pouvoir se maintenir en possession de tous les États héréditaires, contre quiconque voudra les envahir.
L'événement fera voir si on ne se laisse pas séduire par une vaine illusion danscette espérance flatteuse. L'Empereur étant mort, l'Empire et la maison d'Autriche sans chef, ses finances épuisées, son armée ruinée, ses provinces maltraitées par la guerre, la peste et la famine, aussi bien que les terribles charges qu'elles ont portées jusqu'ici, les prétentions de la Bavière assez connues, celles de la Saxe cuvant sous la cendre d'un feu prêt à éclore, les desseins secrets de la France, de l'Espagne et de la Savoie sur le point de semanifester: comment estil possible qu'on puisse vivre dans une espèce de sécurité dangereuse à Vienne, sans faire attention à tous ces maux qui vont fondre en foule sur cette maison infortunée, peut-être avant qu'elle s'y attende; et tant de bonnes têtes que celles qui restent encore dans le conseil de cette cour, et qui n'ont point eu de part à la corruption du temps passé, peuvent-elles se faire des illusions assez fortes aux dépens du salut des tristes débris de cette vastepuissance, pour vouloir croire que tout ira si fort à plein pied par rapport à la conservation de la totalité de cette succession? A-t-on oublié le dessein formé depuis longtemps par plusieurs cours électorales, épaulées par les plus grandes puissances, de frustrer pour jamais la maison d'Autriche de la dignité impériale?
Qu'est-ce qu'on opposera aux vues de la Bavière, de la Saxe, de la cour palatine, et de quelques autres qui pourront se ranger de leur côté? Où sont les ressources sur lesquels on compte tant? Est-ce la France? il me semble qu'on ne la connaît que trop pour en attendre quelque chose de fort avantageux. Est-ce l'Angleterre, qui a assez d'affaires sur les bras avec sa guerre contre l'Espagne? Serait-ce la Hollande, qui à peine veut remplir ses engagements avec l'Angleterre dans les conjonctures présentes? Ou croit-on que la Russie fera de grands efforts, elle qui est en garde et en défiance continuelle contre la Suède et la Porte Ottomane? Et qui sont les princes de l'Empire qui se voudraient exposer ou perdre, pour l'amour d'une maison trop faible pour les soutenir, et trop peu reconnaissante pour récompenser leurs peines et leurs dépenses?
Le pire de toute l'affaire est qu'on reste toujours dans la fausse supposition à Vienne qu'il faut de toute nécessité qu'on s'intéresse gratis à leur conservation, ou qu'on croie en être quitte pour des compliments ou des perspectives de faveur quine leur coûtent rien. On se blousera terriblement par rapport à l'un et l'autre, et si on ne tâche pas de faire incessamment des convenances bien solides et réelles <89>à ceux qui sont le plus en état de les retirer des bords du précipice où ils se trouvent, on courra risque à Vienne d'être planté là, et que ceux qui étaient bien intentionnés prendront parti ailleurs, où ils trouvent leur convenance.
J'ai cru qu'il était nécessaire de toucher toutes ces réflexions-là, parceque je vois bien que l'ardeur avec laquelle vous avez cru qu'on me rechercherait, paraît s'être ralentie beaucoup, et que je commence à croire qu'il faudra songer à d'autres moyens pour tirer bon parti des conjonctures présentes, sans se morfondre à voir venir des gens qui paraissent encore fort irrésolus s'ils doivent faire les premières avances ou non.
Federic.
H. de Podewils.
Nach der Ausfertigung.