159. AU CONSEILLER PRIVÉ DES FINANCES DE BORCKE A VIENNE.
Berlin, 15 novembre 1740.
La situation des affaires de l'Europe étant telle présentement qu'il faut de toute nécessité prendre son parti, si on ne veut pas laisser <103>tomber les choses dans un état désespéré, dont toute la prudence humaine et les effortsles plus considérables ne sauraient les retirer dans la suite, je me suis vu forcé d'avoir recours à des remèdes qui, quelque violents qu'ils puissent paraître au premier coup d'œil, n'ont en vue que le véritable bien public, l'équilibre de l'Europe, la conservation du système de l'Empire, la liberté del'Allemagne, et le seul et véritable salut des tristes débris de la maison d'Autriche.
C'est dans cette vue-là, et pour d'autres raisons très valables que je manifesterai en son temps, que j'ai pris la résolution de faire entrer un corps de troupes en Silésie, non seulement pour empêcherque d'autres dans les conjonctures présentes ne s'emparent d'une province qui fait la barrière et la sûreté de mes États, mais aussi pour être par là plus à portée de secourir la maison d'Autriche et de la sauver de la ruine dont elle est menacée.
Si on veut reconnaître en cela lapureté de mes sentiments et intentions à Vienne, en réfléchissant sur la fâcheuse situation où l'on s'y trouve, et qui ne lui laisse d'autre ressource que celle d'opter entre le parti désespéré de se jeter entre les bras de la France et celui de s'en remettre à moi, on conviendra facilement qu'on ne saurait trouver nulle part son compte mieux qu'avec moi, et voici ce que j'offre de faire pour le bien de la reine de Hongrie et de Bohême et du ducde Lorraine, son époux:
1° Je suis prêt de garantir de toutes mes forces tous les États que la maison d'Autriche possède en Allemagne, contre quiconque voudra les envahir.
2° J'entrerai là-dessus dans une alliance étroite avec la cour de Vienne, celle de la Russie et les Puissances maritimes.
3° J'emploierai tout mon crédit à faire parvenir le duc de Lorraine à la dignité impériale et à soutenir son élection contra quoscunque. Je pourrais même dire, sans risquer trop, que je me fais fort d'y réussir.
4° Pour mettre la cour de Vienne en état et bonne posture de défense, je lui fournirai d'abord en argent comptant deux millions de florins; et je pourrai même aller jusqu'à trois, ce qu'il faudra pourtant ménager dans le commencement, et marchander là-dessus le plus qu'il est possible.
Vous sentez bien que pour des servicesaussi essentiels que ceux auxquels je m'engage par les conditions très onéreuses, marquées cidessus, il me faut une récompense proportionnée, et une sûreté convenable pour un dédommagement de tous les risques que je cours, et du rôle dont je veux bien me charger. En un mot, c'est la cession entière et totale de toute la Silésie que je demande d'abord pour prix de mes peines et des dangers que je vais courir dans la carrière où j'entre pour le service de la maison d'Autriche.
<104>104-1 Les services considérables que mes ancêtres ontrendus à cette maison, et qui n'ont point été récompensés, et même payés d'ingratitude, demandent absolument que je m'assure d'avance d'un gage de reconnaissance de la part d'une cour pour laquelle je suis prêt de tout sacrifier, et de garantir la succession de toutes mes forces.
Mon intention est donc que, dès que vousaurez appris que mes troupes sont entrées en Silésie, vous demandiez d'abord une audience particulière au duc de Lorraine et que vous lui exposiez de bouche fidèlement tout le contenu de cette dépêche, en l'assurant de ma part que, connaissant par l'expérience que mes ancêtres en ont faite, l'irrésolution de la cour de Vienne, il a fallu, sans la consulter auparavant, prendre cette route, pour son propre bien et surtout celui, du duc de Lorraine, que je chéris et estime infiniment, etpour l'amour duquel je me suis porté à cette démarche hardie, en coupant court à tous les délais d'une négociation longue et infructueuse, dans une affaire où il ne s'agit pas moins que du salut de l'Europe, de celui de la maison d'Autriche, et de la fortune du duc de Lorraine.
Si l'on veut de moi à ce prix-là, on pourra s'attendre sincèrement aux plus grands efforts que je ferai pour la conservation des tristes débris de cette maison, et pour mettre la couronne impériale sur la tête de ce prince.
Mais si on nem'accorde pas purement et simplement ce que je demande, je m en lave les mains et je me verrai forcé, quoiqu'à regret, de prendre parti ailleurs, et nous verrons comment la cour de Vienne se tirera d'affaire, et comment elle pourra se conserver malgré moi, et encore moins parvenir au but qu'elle se propose.
Car de quelque côté qu'elle se tourne, elle n'en sera jamais quitte sans faire quelque sacrifice, et si elle prend le parti désespéré de se jeter entre les bras de la France, aux dépens de la liberté de l'Europe, elle peut être assurée qu'il y a déjà un plan tout dressé pour l'empêcher d'une manière qui pourrait entraîner sa destruction totale.
Il faudra bien faire sentir ce dernier article au duc de Lorraine, puisque je prévois que ceux qui ont possédé la confidence de feu l'Empereur, et qui sont capables des conseils les plus désespérés et les plus violents, ne manqueront pas de remuer ciel et terre pour précipiter la cour de Vienne dans un précipice où elle se perdra sans retour.
Il s'agit donc de prendre promptement un parti à Vienne, sans vouloir m'amuser, ou sans se faire de fausses illusions, puisqu'il faut absolument que je sache où j'en suis avec ces gens-là.
Si le duc de Lorraine le trouve à propos, vous pouvez, vous expliquer sur le même ton envers les ministres de laconférence et ceux <105>qui sont au timon des affaires présentement, en leur déclarant distinctement, et même à plusieurs reprises s'ils le souhaitent, mes intentions là-dessus.105-1 J'avoue cependant que je ne saurais me fier au baron de Bartenstein, qui s'est toujours montré ennemi de ma maison. C'est pour cela que je souhaiterais fort que la négociation ne passât point par ses mains, ce que vous devez insinuer adroitement au duc de Lorraine.
Je ne crois, pas non plus qu'il conviendrait à mes intérêts que vous leur donniez mes propositions par écrit, quoique vous puissiez fort bien permettre qu'ils les minutassent en votre présence, et conformément à la communication que vous leur en ferez.
J'attends avec beaucoup d'impatience ce qu'on vous aura répondu sur tout cela, mais je n'en pousserai pas moins ma pointe pour prendre possession detoute la Silésie, afin d'être en état de m'y maintenir d'autant mieux et de secourir la cour de Vienne d'autant plus facilement, si elle le trouve à propos, ou de prendre mon parti ailleurs, si elle m'y force par un refus mal placé d'offres si considérables.
Peut-être que ledessein pourra éclater ou être soupçonné à Vienne avant qu'on frappe le coup, puisqu'il est impossible que cela se puisse faire sans quelques préparatifs, qui sautent d'abord aux yeux de tout le monde. Mais en cas qu'on vous en parle, vous n'avez qu'à feindre de l'ignorer entièrement, en contestant en gros que vous étiez informé de mes bonnes intentions pour la cour de Vienne, mais que vous ignoriez les routes que je prendrais pour leur en témoigner les effets.
Voilà une occasion qui vous donne un vaste champ pour continuer à mériter ma bienveillance et une récompense proportionnée au service que vous me rendrez dans une affaire de cette importance, et pour la réussite de laquelle je me persuade que vous n'oublierez ni soin ni peine, en m'informant, aussi souvent que lanécessité le demande, par des estaffettes de ce qui pourrait exiger une prompte résolution ou des instructions ultérieures.
Federic.
H. de Podewils.
Nach der Ausfertigung.105-2
104-1 Dieser Absatz ist von Podewils in dem Concept hinzugefügt auf folgende eigenhändige Randbemerkung des Königs: Il faut ajouter ici les services que mes ancêtres leur ont rendus, et qui n'ont point été récompensés.
105-1 Der nächste Satz in Gemässheit folgender Randbemerkung des Königs zu dem Concept: „Je ne veux point que la négociation passe par les mains de Bartenstein.“
105-2 Der König schreibt eigenhändig unter das Concept: „Ceci est très bon, mais il faut encore plus appuyer sur la bonne intention et le dessein dans lequel je suis de leur garantir la Pragmatique. Faites-le expédier alors et j'enverrai un courrier.“ Die Ausfertigung enthält indess keinen dem entsprechenden Zusatz.