6087. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A FONTAINEBLEAU.
Potsdam, 27 octobre 1753.
J'ai reçu votre rapport du 15 de ce mois. En conséquence de la promesse que j'ai faite dans ma dernière dépêche, de vouloir fidèlement informer la France de ce qui parviendrait à ma connaissance touchant le plan de subsides proposé par les ministres de Russie à ceux d'Angleterre, je veux bien vous dire que j'ai appris de très bonne main et par un canal sur lequel je puis fermement tabler, que le résultat que les ministres anglais ont pris avec le comte Colloredo, est qu'on ne signera point cette année-ci le traité de subsides avec la Russie, mais qu'après bien des débats dans le Conseil, on y est convenu de donner aux deux cours impériales les plus fortes assurances que l'on voudra entrer l'été qui vient dans leurs idées et dans les plans proposés, ce qu'on ne saurait faire actuellement, vu la situation présente des choses intérieures de la nation; qu'en attendant on verrait avec plaisir que la Russie continuât — nota bene — d'augmenter, insensiblement et seulement régiment par régiment, ses troupes en Livonie, afin que son armée serait toujours prête d'agir au but que l'on se proposait, et que, lorsque l'on viendrait à signer le traité, elle y fût toute transportée. Qu'outre cela on était bien aise de déclarer aux cours susdites que le Roi était prêt d'accéder en qualité d'Électeur au traité de Pétersbourg, et qu'on avait tout lieu de présumer qu'aussi la Saxe ne ferait plus de difficulté d'en faire autant.
C'est avec ce résultat que le susdit comte Colloredo a renvoyé son courrier à Vienne, sur quoi l'on me fait observer encore que, la veille du départ de ce courrier, le comte Colloredo avait eu encore une longue conférence avec le duc de Newcastle et le ministre hanovrien Münchhausen dans la maison de ce dernier, dans laquelle, selon toutes les apparences, on serait convenu de lâcher quelque somme d'argent sous mains aux Russes, qui peut-être serait avancée du trésor d'Hanovre à Stade; conjecture qui me paraît assez vraisemblable par les avis que j'ai eus depuis peu par des lettres de Hambourg qu'on avait averti là sous mains quelques marchands de la part des ministres d'Hanovre de s'arranger en sorte qu'ils puissent remettre en Russie quelques sommes en argent, dès qu'on les leur enverrait de Stade.
Vous avertirez de tout ceci bien distinctement, et avec tout le détail que je vous marque, M. de Saint-Contest, en le conjurant cependant de ma part de m'en vouloir garder le secret le plus religieux, afin qu'à mon grand préjudice rien n'en saurait transpirer, et que je regarderais le secret qu'il m'en garderait, comme une marque de son amitié et de sa confiance. En attendant, vous lui relèverez surtout le passage où je vous ai dit qu'on voudrait que la Russie fît passer, insensiblement et régiment par régiment, son armée en Livonie, afin d'être prête au but proposé, dès que le traité serait signé.