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Le Roi lui ayant fait remarquer qu'il était dangereux de parler de mécontentement, sans en pouvoir alléguer aucun sujet valable, le comte Tessin dit qu'il était instruit combien on avait désapprouvé ses lettres écrites au Prince Royal pendant les deux étés qu'il avait été absent de sa personne, et que pour sa justification il les avait fait imprimer; on avait poussé les choses jusqu'à vouloir intimider l'imprimeur pour empêcher leur publication.

Sur quoi, le Roi lui dit: « C'est moi, Monsieur, qui ai fait savoir à l'imprimeur qu'il aurait dû supprimer ces lettres; c'est moi qui suis en droit de me plaindre, puisque vous avez mal fait de publier sans mon aveu votre correspondance avec mon fils, qui ne contenait que des allusions aux affaires de la cour et des raisonnements politiques, matières peu convenables à discuter avec un enfant.  »

Le comte Tessin interrompit alors le Roi avec beaucoup de véhémence, disant: « Comment, j'ai mal fait, Sire? Je ne puis donc plus servir; je veux avoir une commission qui juge de ma conduite, » et, continuant avec le même emportement, il dit qu'il fallait se plaindre au Sénat, qu'il voulait avoir sa démission. Que jusqu'ici il avait cru vivre dans un pays libre, mais qu'il voyait bien qu'il n'y avait plus ni loi ni justice et que la liberté était sur son déclin.

Le Roi lui répondit avec beaucoup de modération : « Vous avez toute liberté, vous vivez dans un pays libre et plus libre qu'on ne pense; je souhaite que cette liberté ne dégénère en licence et n'entraîne la ruine du royaume. »

Le comte Tessin insistant toujours plus fort sur sa démission, dit que dès ce moment il ne pouvait plus rester ni auprès du Prince ni à la cour. Il demanda aussi la permission de se rendre en ville et de passer encore quelques jours au château jusqu'à ce qu'il eût trouvé une maison.

A quoi le Roi lui répondit qu'il avait sa maison ici et au château et qu'il pouvait, au reste, s'en aller ou rester, comme il le jugerait à propos. Le comte Tessin sortit alors de mon appartement et s'en alla en ville le même jour, après avoir pris un adieu du Prince Royal.

Un éclat de cette nature ne permet plus au Roi de conserver le comte Tessin dans la charge qu'il occupait auprès du Prince Royal. Aussi ne balança-t-il pas a lui accorder son congé; mais croyant devoir concilier dans cette occasion les mouvements de sa bonté naturelle avec les égards dus à sa dignité, le Roi remit en même temps un écrit contenant le précis de tout ce qui s'était passé dans cette affaire, pour être mis devant les yeux des États à la Diète prochaine.“

[Potsdam, 26 février 1754.]

J'ai appris par les nouvelles de Suède et par celles que vous me donnez, l'extravagante conduite du comte Tessin. Le Roi s'est conduit envers lui comme un ange, Tessin est un michaut fol qui, si la Diète était prochaine, pourrait par son manège vous causer bien de l'embarras; mais, comme la Diète est éloignée, il aura le temps de mettre de l'eau dans son vin et de se calmer. De la façon que cette affaire m'est revenue,1 il en veut au sous-gouverneur et au précepteur2 du Prince, mais, comme je l'ai dit, il y a encore du temps jusqu'à la Diète, et alors vous pouvez opposer vos batteries aux siennes. J'ai fait écrire en France au sujet d'Havrincourt et je leur ai si bien fait sentir les conséquences de la mauvaise conduite de ce ministre que je me flatte qu'on le rappellera ou du moins qu'on le bridera davantage; c'est, autant que j'en peux juger, la fougue de cet homme qui encourage te Sénat, et, pour peu qu'on puisse avoir là-bas un ministre plus mo-



1 Bericht Maltzahn's, Stockholm 8. Februar.

2 Graf Bielcke und Dalin.