5957. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Potsdam, 10 juillet 1753.

Ne soyez pas trop en peine des chipoteries et des conférences suivies entre les ministres autrichiens et le comte Keyserlingk. Selon les conjectures que j'en fais, ces conférences peuvent rouler sur deux objets, le premier par rapport aux mouvements des Tartares et aux préparatifs de guerre que font les Turcs, à l'occasion desquels je veux bien vous informer que le ministre de Suède à ma cour vient de nous dire qu'un corps de troupes russes de 10,000 hommes qui s'était tenu jusqu'ici aux environs de Moscou, était actuellement mis en marche, que sa cour en avait eu des avis certains, et qu'on se disait à l'oreille que ce corps dirigeait sa marche vers les frontières de Perse. Comme cette dernière circonstance ne me paraît pas vraisemblable, je suis plutôt tenté de croire que ces troupes marchent du côté des Turcs et qu'on ne parle de la Perse que pour donner le change.

L'autre objet de ces conférences peut être aussi l'affaire des Serviens qui sont sortis de la Hongrie pour aller s'établir dans l'Ukraine russe. Vous vous souviendrez qu'il y a quelques mois déjà que je vous ai averti des bisbilles qui s'étaient élevées à cette occasion entre les deux cours impériales;13-1 j'ai appris du depuis que cette affaire a risqué de brouiller les deux cours, celle de Vienne ayant refusé absolument de laisser sortir ces gens de la Hongrie, malgré les instances que la cour de Russie avait faites de ne point empêcher ces gens attachés à là religion grecque de sortir du pays pour s'établir en Russie. Comme l'impératrice de Russie, poussée par un zèle pour la religion grecque et par les impulsions d'un abbé favori de Russie, a fait répondre fort vivement par un mémoire par écrit à l'occasion de ce refus, et que le ministre autrichien n'a point voulu se charger d'envoyer ce mémoire à sa cour, le grand-chancelier Bestushew, qui était alors à Pétersbourg avec Pretlack, est convenu avec celui-ci qu'on renverrait ce mémoire au comte Woronzow, avec instance de vouloir bien faire en sorte que les termes en fussent changés et plus modérés. Sur quoi, et après que le comte Woronzow en a fait son rapport à sa souveraine, elle a ordonné<14> que non seulement ce mémoire dût rester tel qu'il était conçu, mais qu'on l'avait accompagné d'un second mémoire en termes encore plus durs que le premier, qu'on avait envoyés au comte Keyserlingk avec ordre de les présenter tous deux, tels qu'ils étaient conçus, à la cour de Vienne; ce qui étant exécuté, l'Impératrice-Reine en a été extrêmement mécontente et choquée. Si cette anecdote, que je ne vous communique que pour votre direction seule, est exactement vraie, comme elle me l'a été assurée, il se peut que cela fasse encore le deuxième objet des fréquentes conférences du comte de Keyserlingk.

Je me rapporte, au reste, à la dépêche ordinaire des ministres que vous recevrez à la suite de celle-ci pour ce qui regarde les dernières nouvelles que nous avons eues de Hollande touchant les menées du roi d'Angleterre et le succès qu'elles ont eu à ses cours alliées.

Quant au jeune homme qu'on vous enverra pour lui faire apprendre la pâtisserie et mêts de farine, je serai bien aise que vous le fassiez mettre en apprentissage quelques semaines à Vienne et que vous l'envoyiez à la suite à Munich avec recommandation pour pouvoir s'y perfectionner.

Federic.

Nach dem Concept.



13-1 Vergl. Bd. IX, 312.