6146. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.
Potsdam, 25 décembre 1753.
J'ai reçu votre rapport du 16 de ce mois. Vous pouvez compter que ni la cour de Vienne ni celle de Londres n'ont donné jusqu'ici un sol en argent à la Russie pour faire marcher des troupes. Je suis trop bien informé et souhaiterais que vous voudriez compter avec assurance sur les avis que je vous donne par mes dépêches immédiates; ils dérivent de trop bons canaux, et vous n'aurez jamais lieu d'en douter, quand je vous les donne pour des faits sûrs et avérés.
Il y a du vrai et du faux dans le propos que le sieur de Keith vous a tenus, mais ce que je puis vous dire pour votre direction seule, c'est que j'ai appris de fort bon lieu que dans tout ce que le roi d'Angleterre a fait négocier en Russie par rapport à une convention de subsides à conclure, il n'y a pas eu autant d'humeur de sa part que d'appréhension que la cour de Vienne lui a inspirée sur le dessein qu'elle m'a malicieusement attribué, en simulant d'ajouter foi aux prétendues découvertes du coquin nommé Berkenmeyer,195-1 de vouloir envahir les États d'Hanovre et de Saxe-Lauenbourg;195-2 que là-dessus le roi d'Angleterre a cherché avec empressement le secours de la Russie, pour me faire une diversion, le cas existant; mais que, s'étant aperçu de la fausseté de l'insinuation, et ayant été frappé d'ailleurs de l'énormité des demandes contenues dans le projet de la convention que les ministres de Russie avaient donné à Guy Dickens et dont je vous ai fait part à son temps,195-3 son conseil privé a d'abord agité s'il ne valait pas mieux de laisser entièrement tomber cette affaire que de s'amuser longtemps à une négociation qui, par l'avidité d'un côté, ne saurait jamais parvenir à sa consistance; mais que le duc de Newcastle avait su à la fin ramener les esprits à former un contre-projet de convention, qu'on avait envoyé au sieur Guy Dickens, qui différait infiniment par rapport aux sommes des subsides de ceux que la Russie avait prétendus. L'on m'ajoute même que personne n'avait été si difficile que le roi d'Angleterre pour agréer même le mince subside qu'on offrait à la Russie, en déclarant que le péril était passé; que ce contre-projet était son dernier mot, et qu'il paraissait par le projet des ministres de Russie qu'on s'était imaginé là que l'attaque des États du roi d'Angleterre était inévitable, et que, regardant le cas extrêmement pressant, l'on avait réglé là<196><197>dessus le nombre des troupes et le subside énorme qu'on demandait, mais que cette idée était entièrement fausse, et que l'unique vue du roi d'Angleterre n'était que d'affermir la paix publique et de rendre son union avec l'impératrice de Russie plus ferme et plus solide.
Voilà le vrai état où sont à présent ces affaires, auxquelles l'on verra plus clair, quand on pourra savoir comment les ministres de Russie auront envisagé le contre-projet de l'Angleterre, et de quelle façon ils se seront décidés là-dessus.
En attendant, il est aisé de s'apercevoir à présent pourquoi la cour où vous êtes a sursis son dessein par rapport au grand campement qu'elle méditait de faire le printemps prochain en Bohême,197-1 et je crois être en droit de m'imaginer que, s'il arrive que la négociation en Russie au sujet de la convention susdite, sur laquelle la cour de Vienne avait mis son espoir, échoue, elle ne voudra perdre les frais d'un grand campement en Bohême et en Hongrie, quoique, pour sauver les apparences, elle y fera assembler des campements pour exercer les troupes comme à l'ordinaire.
Au surplus, vous m'observerez le secret le plus absolu sur toutes ces confidences, qui ne sont que pour votre unique direction; vous continuerez d'ailleurs de surveiller bien sur les menées et les allures de la cour où vous vous trouvez.
Du reste, je vous avertis que j'ai donné mes ordres à mes ministres du département des affaires étrangères afin qu'ils rappellent votre secrétaire197-2 et me proposent un autre à sa place dont vous aurez lieu d'être content.
Federic.
Nach dem Concept.
195-1 Vergl. Bd. IX, 343. 391.
195-2 Vergl. S. 129. 130. 170.
195-3 Vergl. S. 26.
197-1 Vergl. S. 185.
197-2 Holzendorff. Vergl. S. 173.