6149. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION DE HÆSELER A COPENHAGUE.

Berlin, 27 décembre 1753.

Mon ministre à Stockholm, le conseiller privé de Maltzahn, ayant eu dans quelque conversation confidente avec le baron de Hcepken des notions bien précises sur le vrai état de la bisbille qui s'est élevée entre la Suède et le Danemark touchant le flottage du bois norwégien dont la Suède ne veut plus permettre le passage par son territoire,199-1 voici ce que mon dit ministre m'en a marqué.

Pour m'en mettre au fait, il reprend les choses d'un peu loin, en m'informant que le commerce avantageux que les Norwégiens faisaient de leurs bois, avait été la cause que toutes les forêts qui se trouvaient autour de leurs ports avaient été abattues, et que, pour continuer leur commerce, ils étaient dans la nécessité de faire venir du bois du fond de la Norwège, d'où, la voie de terre étant trop coûteuse, ils ne pouvaient le faire venir que par eau, mais que dans ce cas le bois passait par des rivières et des lacs appartenants à la Suède. Que fort anciennement, et du temps de Charles XI, la permission n'avait été donnée qu'à un seul Danois de faire flotter les bois qu'il avait coupés en Norwège, à travers des lacs suédois, et que du depuis, le bois étant devenu plus rare dans les environs des ports de mer de Norwège, on y avait pris le parti de faire venir le bois nécessaire pour le soutien du commerce du fond de la Norwège et à travers des lacs suédois. Que, comme cela n'avait eu aucun inconvénient pour la Suède, on y avait connivé, mais qu'on avait remarqué du depuis que les Danois chemin faisant coupaient une prodigieuse quantité de bois sur le territoire suédois et le mettaient à flot avec celui qui venait de Norwège, comme on en avait des preuves, puisqu'on avait fait compter plusieurs fois le bois qui était arrivé de Norwège sur le territoire suédois, et qu'en ayant fait le compte une seconde fois au sortir des lacunes suédoises, on avait trouvé que pour mille pièces qui étaient entrées, il en sortait dix mille. Qu'on en avait fait des plaintes, mais toujours inutilement.

Que pendant le temps que le comte Tessin avait été président de la chancellerie,199-2 il avait négocié pour cette affaire et proposé divers moyens au Danemark, comme celui de faire compter à l'entrée des lacunes suédoises les bois qui venaient de Norwège et de faire le compte une seconde fois au sortir de là et de ne point permettre qu'il en sortît davantage qu'il n'y en était entré; que cependant cette proposition, toute naturelle qu'elle était, avait été rejetée ainsi que plusieurs autres.

Que l'affaire en était restée en ce terme, quand le baron de Hcepken était parvenu au poste de président de chancellerie. Qu'ayant<200> su tout ce qui s'était passé, il avait cm qu'il n'y avait autre chose à faire que de défendre absolument le passage du bois norwégien; que cependant, avant que de prendre ce parti, il avait fait avertir le baron Bernstorff six mois auparavant qu'on était obligé d'en venir là pour lui donner le temps de faire des propositions et finir l'affaire par une négociation, mais que, le baron de Bernstorff ne lui ayant pas fait faire la moindre réponse, on n'avait pas pu s'empêcher de procéder à la défense, et qu'au printemps prochain on ne permettrait plus aux Danois de flotter leurs bois sur les rivières suédoises, ce qui entraînerait la ruine du commerce avantageux des bois que la Norwège faisait. Que le baron de Bernstorff avait fait parler présentement le comte Wedell-Friis au baron de Hœpken, en lui faisant insinuer que cela pouvait altérer l'amitié qui régnait entre les deux cours, mais que le baron Hœpken lui avait répondu qu'il avait lu et relu tous les traités que la Suède avait avec le Danemark, mais qu'il ne trouvait nulle part qu'il y fût stipulé ou dit que l'amitié entre les deux cours dépendrait de la dévastation des forêts suédoises, que cependant il s'était offert envers le comte de Wedell-Friis de retarder l'expédition de la susdite défense, en cas qu'il en fût encore temps, mais que, s'en étant informé, il avait été trop tard, ce qu'il avait fait savoir au comte Wedell-Friis. Qu'au surplus le baron de Hœpken avait fait une dépêche bien détaillée et telle qu'il la fallait, au baron Fleming, en lui mettant devant les yeux comment le baron de Bernstorff se servait en toute occasion d'un argument aussi frivole que plein de hauteur; que, s'il s'agissait de fortifier Landskrona,200-1 l'amitié des deux cours en serait altérée : que, s'il était question d'empêcher la dévastation des forêts suédoises, lui se servait du même argument, et qu'il était difficilement à comprendre quelle connexion de pareils arrangements pouvaient avoir avec l'amitié qui subsiste entre les deux couronnes, et qu'il espérait au surplus de la prudence du baron Fleming que dans les conférences qu'il pourrait avoir sur ce sujet, il ne prendrait pas ad referendum des propositions auxquelles on ne pouvait point faire réflexion, et que la manière dont Bernstorff se comporterait en cette occasion, servirait peut-être à découvrir ses intentions.

Qu'au surplus, autant que mon ministre de Maltzahn a entendu du baron de Hœpken, il distingue bien les sentiments du roi de Danemark d'avec ceux du baron de Bernstorff, mais que pour cela il ne veut point être la dupe du dernier, et qu'il croyait que dans cette affaire-ci Bernstorff ne voudrait pas le prendre sur un pied de vivacité, puisqu'il avait bien vu dans l'affaire d'Espagne200-2 qu'elle n'était pas toujours bonne.

Voilà ce que mon susdit ministre m'a marqué à ce sujet, et que j'ai trouvé bon de vous communiquer, quoique pour votre information<201> et direction seule. Néanmoins, comme je crois convenir que vous informiez le ministre de France de ces détails, pour qu'il reconnaisse d'autant mieux le mauvais caractère du baron de Bernstorff, et combien cet esprit fougueux attire des affaires fâcheuses au Roi son maître par une suite des mauvaises intentions qu'il a contre la France et ses amis et alliés, ma volonté est que vous devez lire vous-même à M. d'Ogier cette dépêche de mot en mot, pour autant qu'elle regarde le différend par rapport au flottage, après lui avoir fait vos instances de vouloir bien vous en garder le secret.

Federic.

Nach dem Concept.



199-1 Vergl. S. 184.

199-2 1744—1752.

200-1 Vergl. Bd. IX, 309. 311.

200-2 Vergl. S. 157.