6288. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.
Potsdam, 13 avril 1754.
Je vous sais parfaitement gré de l'avis que vous m'avez donné par le post-scriptum de votre dépêche de l'ordinaire dernier sur ce que le sieur de Celsing a mandé de Constantinople. Il serait bien désirable pour la tranquillité de l'Allemagne, et parceque la cour où vous êtes paraît méditer le dessein de vouloir allumer un nouveau feu de guerre, que de démonstration en démonstration les choses entre les Turcs et les Autrichiens parvinssent à une rupture ouverte. Au surplus, comme vous dites que la Porte a pris des alarmes par rapport aux mouvements faits parmi les troupes autrichiennes en Hongrie, vous ferez bien d'éclaircir sous main, mais de manière à y pouvoir compter, ce que sont que ces mouvements des troupes en Hongrie, afin de pouvoir m'en faire votre rapport.
Au surplus, je veux bien vous communiquer, en confidence et pour votre direction seule, que, par les soins que je me suis donnés pour m'orienter sur le sujet des conférences fréquentes et secrètes qu'il y a eu entre les comtes de Kaunitz et de Colloredo, auxquelles le comte Flemming est intervenu en conséquence de vos rapports antérieurs,295-2 j'ai appris par un très bon canal qu'il s'y est agi d'un nouveau mensonge que la cour de Dresde m'a endossé le plus faussement, savoir que le comte de Flemming avait fait part à celui de Kaunitz des avis et des apparences d'une négociation tramée entre moi et le prince de Saxe-Neustadt, évêque de Leitmeritz, je ne sais pas moi-même sur quel sujet, mais que Flemming a relevée tant que le comte Kaunitz lui a promis d en rendre compte à sa souveraine, en l'assurant d'avance qu'elle con<296>courrait avec empressement à toutes les précautions et mesures que la cour de Dresde jugerait à propos de prendre pour faire échouer et pour contrecarrer cette négociation. De vous dire sur quoi cette prétendue négociation doit avoir roulé, c'est que je ne saurais point vous dire, puisque mes avis ne s'en expliquent pas et que je puis bien vous protester sur mon honneur que je n'ai jamais eu les moindres liaisons, ni correspondance aucune avec le susdit Prince, que je [ne] connais d'ailleurs que par réputation, comme un prince qui n'aime qu'à s'étourdir par la crapule, et d'ailleurs fort emporté. Mais, comme il se doit être agi dans les susdites conférences d'intéresser même le Pape dans cette affaire pour donner son agrément à ce que ce Prince évêque soit confiné dans quelque lieu de sûreté, il faut bien que la cour de Dresde en veuille à sa personne et que peut-être ce Prince, étourdi et emporté qu'il doit être, ait menacé dans des moments de sa colère qu'il se jetterait entre mes bras, pour faire valoir ses droits sur diverses principautés de Saxe dont on l'avait privé de la succession. Je ne vous parle sur ceci que par conjectures, mais il faut bien qu'il en soit quelque chose, puisque les comtes Kaunitz et Colloredo ont fait entendre à Flemming que, si ce projet était réel, il serait très difficile d'y parer et qu'ils ne connaissaient d'autre moyen que de tenter encore les voies de la douceur, en adoucissant ce Prince féroce par des moyens capables à le guérir de ses noires idées, de lui ôter ses mauvais conseillers et de le faire environner par des gens affidés, d'autant plus qu'on ne saurait user des violences contre lui sans exciter force de criailleries, et à moins qu'on n'eût des preuves évidentes et des pièces justificatives en main pour le convaincre pleinement de ses desseins, que le comte Kaunitz a qualifiés de pernicieux et de scandaleux. Voilà tout le roman qui a apparemment effectué tant de conférences secrètes, et dont j'ai bien voulu vous informer pour votre direction.
Federic.
Nach dem Concept.
295-2 Vergl. S. 283.