6472. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.
Potsdam, 5 octobre 1754.
J'ai reçu votre rapport du 24 du mois dernier, qui ne comprenant rien qui demandât de nouvelles instructions pour vous, il me suffit de l'accuser. Cependant, comme il m'est entré depuis peu de temps des avis assez intéressants par un très bon canal433-2 par rapport aux affaires de la Turquie, je veux bien vous en faire part, afin que vous le communiquiez confidemment au sieur Rouillé, dans quelque entretien particulier que vous vous procurerez.
Il s'agit433-3 d'une déclaration que le Grand-Visir a faite au mois de juillet dernier au sieur Penckler, ministre de Vienne, à l'occasion des forts que l'impératrice de Russie a dessein de faire construire dans la Nouvelle Servie, en conséquence de laquelle le Grand-Visir a dit tout net que, si la Russie continuait de bâtir ces forteresses, la Porte Ottomane regarderait cette démarche comme un attentat à la paix, en ajou<434>tant que l'on ne souffrirait point que la Russie bâtît des forteresses sur les frontières, et qu'au cas qu'elle le fît, elle aurait infailliblement la guerre avec la Porte, laquelle ni le Sultan, ni lui, le Visir, ne serait en état de détourner, ni de contenir la populace à cet égard. Que, le sieur Penckler en ayant donné avis par une estafette au comte de Kaunitz, celui-ci en avait été d'autant plus chaudement alarmé qu'il savait que ce n'était point flatter le caprice de l'impératrice de Russie que de lui mettre obstacle aux grands établissements qu'elle méditait à faire dans la Nouvelle Servie, [et] avait fortement pressé le comte Flemming, ministre saxon à Vienne, pour faire faire des représentations convenables à la cour de Russie, surtout par celle de Londres, afin qu'elle se désistât de son dessein de bâtir les forts en question; sur quoi le comte Flemming avait écrit une lettre au duc de Newcastle, dans laquelle, après lui avoir représenté les suites funestes qui s'ensuivraient d'une rupture entre la Russie et la Porte, l'embrasement général qu'elle causerait, l'union intime qui en résulterait entre la Porte d'un côté et la France et la Prusse de l'autre, et le grand embarras, enfin, dans lequel se trouverait par là le bon système, qui n'était rien moins que bien affermi, il avait pressé instamment le susdit ministre anglais de faire faire à la cour de Pétersbourg toutes les remontrances possibles pour la détourner de son projet en question.
Que, là-dessus, le Keith à Vienne avait reçu un courrier de sa cour, avec une dépêche du 28 d'août434-1 par où elle lui avait marqué qu'elle avait muni ses ministres à Pétersbourg et à Constantinople434-2 des ordres relatifs tant pour faire là-dessus des remontrances convenables à la cour de Russie, que pour tâcher de prévenir toute rupture de la part de la Porte à cette occasion, et que, le sieur Keith ayant communiqué les copies de ces ordres au ministère autrichien, celui-ci avait paru fort content de leur contenu.
Vous ne manquerez pas de faire un fidèle récit au sieur Rouillé de ces circonstances, en ajoutant [ce] que j'avais appris par de bonnes lettres de Vienne,434-3 selon lesquelles le lord Holdernesse avait écrit au sieur Keith les circonstances du changement arrivé dans le ministère espagnol,434-4 dont il augurait bien pour la conservation de la paix générale, aussi bien que pour les Anglais en particulier. Que l'on se fierait aux assurances et aux protestations dudit434-5 Wall434-6 aussi longtemps qu'il ne donnerait pas de preuves du contraire; que ce ministre avait déclaré qu'il serait fort porté à appuyer le système anglais, tandis qu'il le verrait bien lié et fortifié par le concours et l'alliance des puissances qui naturellement en devraient être les appuis; que pour en juger avec certitude, il aurait principalement les yeux sur le plus ou le moins de confiance qui règnerait entre les Puissances maritimes et la cour de Vienne, et que, pour ne pas se tromper à cet égard, il regarderait<435> comme un thermomètre politique infaillible le succès qu'aurait la négociation au sujet de la Barrière.435-1 Qu'il paraissait cependant au lord Holdernesse que, vu la grande souplesse d'esprit du sieur Wall, qui connaissait parfaitement l'inflexibilité de la cour de Vienne à se relâcher en faveur de ses alliés, son raisonnement n'aboutissait qu'à s'assurer une porte de derrière par laquelle il pourrait s'échapper, et que, malgré toutes ses protestations, il ne serait pas à souhaiter que ce ministre gagnât trop de crédit, mais qu'il restât sous la férule du duc de Huescar, plus franc et mieux intentionné.
En communiquant ces avis au sieur de Rouillé, vous le prierez de m'en vouloir garder un secret absolu, et, quant à vous, vous observerez que vous gardiez cette ma dépêche, comme d'autres de pareille importance, sous votre clef, afin de pouvoir me répondre toujours du secret.
Federic.
Nach dem Concept.
433-2 Bericht Maltzahn's, Warschau 26. September, nach einem Berichte Flemming's an Brühl, Wien 28. August.
433-3 Die hier folgende Mittheilung erhält unter gleichem Datum Klinggräffen in Wien.
434-1 Verwechselung mit dem Datum des Flemming'schen Berichtes.
434-2 Guy Dickens und Porter.
434-3 Vergl. S. 433 Anm. 2.
434-4 Vergl. S. 422.
434-5 Sic.
434-6 Vergl. S. 419.
435-1 Vergl. S. 419.