6495. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.
Potsdam, 26 octobre 1754.
Le rapport que vous m'avez fait du 16 de ce mois, m'a été fidèlement rendu. Donnez-vous la peine de déchiffrer vous-même et seul ce qui suit.
Ce ne sont pas seulement les déclarations que la Porte a fait faire sur les affaires de Pologne qui embarrassent assez la cour où vous êtes, ce sont bien d'autres circonstances encore qui lui inspirent de l'appréhension de voir le système qu'elle s'était fait, ébranlé, et les espérances qu'elle en avait conçues, bien éloignées. La cour de Londres n'a présentement d'autre attention que sur ses différends avec les Français en Amérique,449-1 elle prépare de grands armements pour la Virginie et fera escorter les secours qu'elle y envoie par une escadre de cinq vaisseaux de guerre. Son attention est fixée de voir comment la France l'envisagera, et si celle-ci y enverra aussi des secours dans ses possessions d'Amérique; l'on craint qu'on n'allume pas si bien la guerre en Amérique qu'on ne soit obligé de la faire passer en Europe.
D'ailleurs, l'insensibilité que la cour de Pétersbourg a témoignée touchant l'opposition de la Porte au dessein de la Russie de construire le fort de Sainte-Élisabeth, dont je vous ai déjà informé,449-2 paraît bien embarrasser la cour de Vienne par les suites qu'elle en craint. Vous savez qu'elle veut absolument éviter tout sujet de démêlés avec la Porte; en attendant, la cour de Pétersbourg paraît persister à vouloir construire cette forteresse, et à Constantinople l'on continue de dire positivement qu'on y regarderait cette entreprise comme une violation manifeste de la dernière paix, de sorte qu'à Vienne l'on craint que la Porte ne juge être de son honneur de s'opposer à ce dessein à main armée, et que par là le feu de la guerre ne s'allume. C'est aussi pourquoi l'on remue ciel et terre pour faire condescendre la cour de Pétersbourg à ne plus poursuivre son dessein pour la construction de ladite forteresse et de faire en sorte à Constantinople que le ressentiment de la Porte soit apaisé, qu'elle soit empêchée de se porter à quelque coup violent, et que le comte Desalleurs ne soit point cru sur les insinuations qu'il fait à la Porte touchant ces affaires et celles de Pologne. Avec tout cela, l'on craint à Vienne que, supposé même que la Porte ne se détermine pas à en venir à des extrémités et qu'elle se rende plutôt aux raisons bonnes ou mauvaises qu'on lui donnera des caprices de la Russie, l'on craint, dis-je, que la Porte ne garde toujours contre cette dernière un ressentiment secret et ne puisse être par là engagée plus facilement aux sollicitations des cours qu'on appelle mal intentionnées, pour contracter avec celles-ci des liaisons plus intimes, ce qui avait coûté tant de peines d'empêcher jusqu'ici.
<450>Voilà des avis sur lesquelles vous pouvez compter sûrement.450-1
Quant à la négociation en Russie touchant le traité de subsides à convenir entre celle-ci et l'Angleterre,450-2 tout reste encore indécis, et, quand le Vice-Chancelier a demandé une fois au sieur Guy Dickens s'il n'avait pas reçu de nouveaux ordres de sa cour propres à accélérer la conclusion de cette affaire, il en a eu la réponse qu'après ce qu'il avait dit aux deux Chanceliers, il n'avait rien reçu de nouveau sur ce sujet, et que, malgré le désir de sa cour de voir terminée cette négociation, il faudrait pourtant qu'à l'avenir les ouvertures vinssent de la part de la Russie; réponse qui, ayant été sue en Angleterre, y a été fort approuvée. Enfin, tout le succès de cette négociation [en] dépendra si le chancelier Bestushew saura gagner assez de l'ascendant sur l'Impératrice pour la disposer à se contenter des subsides que les Anglais offrent, et qui sont assez différents de ce que les Russes en demandent.
La négociation sur l'affaire de la Barrière aux Pays-Bas450-3 donne encore du fil à retordre à la cour de Vienne, le sieur Keith ayant communiqué en dernier lieu au comte Kaunitz le projet d'accommodement dont on était convenu entre l'Angleterre et la République à ce sujet. Ce projet contient neuf articles, dont les plus essentiels sont que la Hollande réduit ses prétentions pécuniaires, à l'égard des arrérages, à un million de florins de Hollande et acquitte moyennant cette somme la cour de Vienne de plusieurs autres sommes dont elle est redevable à la République. En second lieu, la Hollande veut se contenter de la moitié de la somme annuelle de 500,000450-4 patagons, stipulée pour l'entretien des garnisons hollandaises, pourvu que le résidu soit employé au rétablissement et à la réparation des places de la Barrière, à l'achat d'artillerie et d'autres besoins, bien entendu que la somme entière sera réversible à la République, aussitôt que ces besoins auxquels il faudra pourvoir préalablement, auront cessé. En troisième lieu, qu'on fixera l'espace d'un an, à compter trois mois après l'acceptation faite, pour convenir de la façon la plus équitable de faire un nouveau traité de commerce et de tarif, qui aura également lieu dans les pays des parties contractantes, sans avoir égard à l'article 26 du traité de la Barrière. Les six articles restants ne sont que relatifs aux autres. Le sieur Keith a eu ordre de remettre ce projet au ministère de Vienne sans l'accompagner d'aucun mémoire, par la raison qu'il serait impossible de n'y point glisser des expressions qui marquassent l'aigreur et le ressentiment qu'on avait conçus en Angleterre du procédé indécent de la cour de Vienne dans cette transaction, et que c'était absolument là l'ultimatum des Puissances maritimes.
<451>Voilà assez pour vous mettre sur la voie de poursuivre le succès de cette négociation, auquel sujet vous me garderez cependant en tout le secret le plus absolu.
Federic.
Nach dem Concept.
449-1 Vergl. S. 447.
449-2 Vergl. S. 443. 444.
450-1 Vergl. S. 448 Anm. 1.
450-2 Vergl. S. 431.
450-3 Die hier folgende Mittheilung erhält unter dem 2. November von der Hellen im Haag.
450-4 In der Vorlage verschrieben: 150,000. Der Bericht Maltzahn's vom 17. October sagt richtig: „La Hollande veut se contenter de la moitié de la somme annuelle de cinq cent mille patagons“ ; dieselbe Zahl hat der Immediaterlass an von der Hellen vom 2. November (vergl. die vorige Anmerkung).