6513. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A FONTAINEBLEAU.

Potsdam, 9 novembre 1754.

J'ai reçu votre rapport du 27 d'octobre dernier. Vous devez comprendre que ce n'est pas de vous que je m'attends principalement d'être instruit sur les affaires présentes en Pologne, mais plutôt de ce qui se passe en France, conformément à ce que je vous ai indiqué à ce sujet par mes dépêches antérieures; car il faut que je le vous répète encore que les rapports vagues, superficiels et point intéressants que vous m'avez faits depuis plusieurs temps, ont suscité en moi toute l'indigna<464>tion qu'ils méritent, de sorte que ma patience en viendra à bout, à moins que vous ne vous en corrigiez.

En attendant, je veux que vous disiez de ma part au sieur de Rouillé, dans quelque conversation confidente que vous tâcherez d'obtenir de lui, que je venais de savoir de très bon lieu464-1 que les représentations que la cour de Vienne et ses alliés avaient faites à celle de Pétersbourg464-2 pour la déhorter de son entreprise à faire construire la forteresse de Sainte-Élisabeth dans la Nouvelle Servie, pour ne plus donner de l'ombrage à la Porte, n'avaient eu que très peu d'effet; que, tout au contraire, elle restait dans l'idée que la situation avantageuse, la considération dont elle jouissait et sa puissance la mettaient à couvert de toute attaque, de quelque côté que ce fût, et que, pourvu que ladite cour persistât avec fermeté dans le susdit dessein, la Porte, malgré toutes ses menaces et ses démonstrations, ne s'y opposerait pas efficacement. L'on m'a averti d'ailleurs que cette cour a pris des soupçons contre celle de Vienne au point de croire que c'était la dernière qui, par un motif de jalousie de ce que beaucoup de Serviens de Hongrie étaient passés en Russie pour s'établir dans la Nouvelle Servie, avait pris à tâche d'inspirer du mécontentement à la Porte sur la construction de la forteresse de Sainte-Élisabeth, et que la déclaration faite à ce sujet de la Porte Ottomane n'avait été qu'un effet des instigations de la cour de Vienne; que c'était aussi en conséquence que la cour de Pétersbourg avait enjoint à son ministre à Vienne, le comte Keyserlingk, d'insinuer à la cour de Vienne qu'au cas que la Porte s'adressât à elle pour requérir ses bons offices dans l'affaire de la susdite forteresse, elle ferait plaisir à celle de Pétersbourg de la décliner, et que, ces insinuations faites au comte de Kaunitz, celui-ci avait répondu qu'on était extrêmement mortifié du peu de confiance que la cour de Pétersbourg avait en celle de Vienne, qui dans ces représentations n'avait eu d'autre but que de lui rendre service et de prévenir toutes sortes de suites fâcheuses, et entre autres celle que la Porte, se voyant frustrée de ses espérances, dans le cas présent, du côté de la cour de Vienne, se tournerait du côté des cours de Versailles et de Stockholm, pour se lier plus étroitement avec elles.

Au reste, on m'a informé que la Porte doit avoir fait déclarer au résident de Russie à Constantinople que, si dans l'espace de quinze jours la Russie ne faisait pas cesser le travail à la forteresse et qu'elle ne fît démolir entièrement les ouvrages qui s'y trouvaient déjà construits, la Porte adresserait incessamment ses plaintes sur ce sujet à la France, comme médiatrice de la dernière paix, et que, suivant l'occasion, elle se ferait justice elle-même. Vous ne manquerez pas de détailler toutes ces circonstances bien clairement au sieur de Rouillé, après l'avoir prié de vouloir bien m'en garder le secret, et de me marquer en après ce qu'il vous aura répondu.

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Au surplus, vous verrez, par la copie ci-jointe chiffrée au dernier chiffre ordinaire de milord Maréchal, les plaintes qu'un de mes lieutenants ingénieurs vient de me faire par rapport à l'arrêt où on a mis son frère à Metz, quand celui-ci a voulu passer auprès de lui, et mon intention est qu'avant que vous fassiez aucune démarche à ce sujet, vous devez préalablement prendre de bonnes informations sur les véritables raisons pourquoi on a arrêté à Metz son dit frère, et, supposé alors qu'il n'y ait d'autre que celle que le suppliant a alléguée, vous pouvez bien faire des instances là où il faut que son frère soit relâché, mais toujours avec beaucoup de modération et de prudence et en ménageant extrêmement vos termes.

Federic.

Nach dem Concept.



464-1 Vergl. S. 463 Anm. 3.

464-2 Vergl. S. 434.