<253> élevés entre la France et l'Angleterre. Dans le fond de la querelle, le jeu ne vaut pas la chandelle. Les possessions que ces deux nations se disputent [dans les terres] incultes de Canada, sont un si petit objet que les grands armements qu'on fait, surpassent de beaucoup la valeur des pays litigieux. A vous dire naturellement mon avis, il sera qu'ils se sont précipités de part et d'autre dans les mesures qu'ils ont prises, qui les ont engagés plus loin peut-être qu'ils ont eu l'intention d'aller.
Il est sûr que, si l'on n'y porte un prompt remède, il y a toute apparence que la guerre passera en Europe, et qu'elle ne gagne, comme un mal contagieux, de voisin à voisin.
Vous m'expliquez les appréhensions que vous avez pour l'Allemagne; quoiqu'elles me paraissent prématurées, je serais fort embarrassé de répondre de l'évènement. Je suis cependant de l'opinion qu'il est encore temps de prévenir toutes les suites fâcheuses que vous semblez prévoir, et cela pourrait se faire en ménageant la dignité des deux couronnes par la médiation de leurs amis communs. La part que vous prenez aux intérêts du roi d'Angleterre, m'oblige de vous ouvrir une idée qui m'est venue dès le commencement de la brouillerie des deux nations, et dont il est libre à vous de faire l'usage que vous trouverez convenable. Il me paraît que, sans commettre l'honneur des deux couronnes, des mélaissé entraîner, sans paraître trop le prévoir. Quoi qu'il en soit, dans la situation présente de l'Europe, il est sûr que, si l'on n'y porte un prompt remède — comme vous le prévoyez très bien — la guerre de l'Amérique passera en Europe, et alors il sera sans doute à craindre que, comme un mal contagieux, elle ne gagne de proche en proche et ne communique enfin son épidémie à l'Allemagne, comme à toutes les autres nations.
Vous me marquez surtout les appréhensions que vous avez pour le Corps Germanique et en particulier pour les possessions que le roi d'Angleterre y a; quoique vos craintes me paraissent prématurées dans le moment présent, je ne voudrais cependant pas répondre de ce qui peut arriver. La France, pour ressentir la rupture des Anglais en Amérique, pourrait former des vues sur l'électorat d'Hanovre, ne pouvant attaquer les possessions du roi d'Angleterre à terre ferme d'un autre côté. Tout ceci est sur le chapitre des probabilités, mais, pour éviter ces troubles et toutes les suites malheureuses et ruineuses qui peuvent en résulter, je suis d'opinion qu'il ne faut point employer de palliatif, mais couper le mal dans sa racine, ce qui ne peut se faire que par une bonne paix. Je ne vois point d'impossibilité d'y réussir. Par l'entremise d amis communs, cet ouvrage salutaire pourrait s'acheminer; je vous ouvre mon cœur et vous parle peut-être avec trop de franchise, mais, si la reine de Hongrie ou les Hollandais, ou les Espagnols, ou le Danemark, ou quelques-uns de ceux-là, supposé la reine de Hongrie et moi, nous chargions de la médiation, que je trouvasse le moyen de la faire agréer de la France et qu'en conséquence nous travaillions à rapprocher les esprits, ïl y a grande apparence qu'entre ici et le printemps prochain, la paix serait faite, pourvu que sous main l'Angleterre et la France convinssent des médiateurs et agréassent leurs bon offices. Ce serait ensuite à nous, à nous proposer nous-mêmes ce qui sauverait l'honneur et la dignité des deux couronnes et vous tirerait de toutes vos inquiétudes. C'est, croyez-moi, l'unique remède efficace et le seul par lequel nous pouvons parvenir à maintenir l'Europe en paix et à empêcher la ruine de la patrie commune. Je me porterai à cette œuvre salutaire avec tout le zèle possible, et certainement je crois qu'après les premières illusions d'animosité dissipées, les deux puissances belligérantes auraient lieu d'être satisfaites de la paix.