6591. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.
Berlin, 11 janvier 1755.
Le rapport que vous m'avez fait du 1er de ce mois, m'a été fidèlement rendu.
Dépêche secrète et à déchiffrer par vous-même. Me voilà à présent à même de vous informer confidemment et sous le sceau du plus grand secret de ce que je viens d'apprendre par rapport à la situation présente de l'affaire de la forteresse de Sainte-Élisabeth dans la Nouvelle Servie,9-2 selon ce qui m'en est revenu par un très bon canal,9-3 savoir que c'était vers la fin du mois de novembre de l'année passée que le sieur Guy Dickens avait demandé au chancelier Bestushew une conférence pour faire, en conformité des ordres qu'il avait reçus de sa cour, des remontrances convenables à celle de Pétersbourg sur la situation présente des affaires de la Russie vis-à-vis de la Porte Ottomane; sur quoi, le Chancelier s'étant excusé de ce que l'état chancelant de sa santé ne lui permettait pas encore de le recevoir, le sieur Guy Dickens, outré de ce délai, s'est répandu en plaintes du peu d'attention que la cour de Russie marquait à ses alliés, même dans les affaires les plus importantes, et, ayant réitéré ses instances pour un moment d'entretien avec ledit Chancelier, celui-ci lui a fait mander que son embarras était extrême, que, comme Tschernyschew avait reçu ordre depuis peu de faire à Londres la même insinuation que le comte Keyserlingk avait été chargé de faire à Vienne au sujet du différend sur la forteresse de Sainte-Elisabeth,9-4 et que l'Impératrice, loin d'avoir goûté les représentations de lui, Chancelier, s'était prêtée plutôt aux insinuations de ceux qui étaient d'un sentiment contraire au sien, de sorte que lui, Chancelier, ne pouvait faire autre chose que d'être tranquille, après avoir fait inutilement tout<10> ce qui avait dépendu de lui, et de laisser à ceux qui jetteraient sa cour dans quelque embarras fâcheux, en fomentant de gaieté de cœur des dissensions aussi dangereuses, le soin de l'en tirer; et que, d'ailleurs, le résident Obreskow aurait de nouveau un ordre absolu de remettre à la Porte la note qu'on lui avait adressée au mois d'août dernier, du contenu de laquelle je crois vous avoir déjà informé par une de mes dépêches antérieures.10-1
Tout ceci ayant donné au ministre anglais de vives inquiétudes, il avait fait agir un des amis des plus confidents10-2 du Chancelier pour lui représenter vivement combien il importait que lui, Grand-Chancelier, écoutât sans délai les remontrances du ministre anglais, et tout le danger qu'il y aurait, selon de nouvelles lettres que Guy Dickens avait reçues du sieur Porter, de laisser subsister le différend en question. Le comte Bestushew y avait répliqué froidement qu'il connaissait parfaitement par les relations d'Obreskow la situation de cette affaire. Sur quoi, l'ami du Chancelier lui a répondu qu'apparemment le sieur de Porter était mieux au fait que le sieur Obreskow de la façon que la cour ottomane pensait sur cette affaire, vu que les ministres turcs s'étaient principalement expliqués à lui, Porter, à ce sujet, et que celui-ci avait marqué au sieur Guy Dickens que le premier drogman de la Porte lui avait dit que, quand on aurait une fois donné des ordres précis à l'armée, il ne serait plus au pouvoir des ministres turcs, comme ailleurs, de les révoquer, parcequ'alors on n'écoutait plus le Sultan ni ses ministres, mais uniquement les janissaires et les soldats qui étaient les maîtres, et qu'outre cela le ministère ottoman avait dit à lui, Porter, rondement qu'un refus de la part de la Russie ou une réponse qui ne serait ni catégorique ni satisfaisante ou simplement dilatoire, seraient également regardées à la Porte comme une déclaration formelle de guerre, ce qui déterminerait infailliblement la Porte à contracter enfin les engagements que d'autres puissances lui avaient proposés depuis deux ans, qui seraient autant avantageux à la Porte qu'ils seraient pernicieux à la Russie et à ses alliés; enfin, que, par toutes ces considérations, il importait à lui, comte Bestushew, d'écouter les remontrances du sieur Guy Dickens et de les faire valoir, ou bien de permettre qu'il s'adressât directement au Vice-Chancelier. Sur quoi, le Chanceher, ayant pris soudainement feu, avait répondu avec emportement qu'il n'en ferait absolument rien, qu'il ne verrait point Guy Dickens, ni ne consentirait qu'il parlât à Woronzow, afin qu'on ne saurait publier que c'était lui qui avait engagé Guy Dickens à faire cette démarche. Mais l'ami du Chancelier ayant apaisé son emportement, celui-ci est convenu ensuite qu'il adresserait encore directement â l'Impératrice des représentations très fortes pour faire cesser les travaux à la fortification de Sainte-Elisabeth, en lui indiquant comment on pourrait le faire encore sans honte, et qu'il espérait que ses réflexions, en donnant des appréhensions à la Czarine, feraient impression sur son<11> esprit; que, si cependant Guy Dickens avait quelque chose de plus fort à alléguer des lettres du sieur Porter, il souhaiterait qu'il lui communiquât un précis en forme de note, en l'accompagnant d'un billet de sa part, dont il ferait bon usage, mais qu'il ne saurait pas le voir ni lui parler.
Ce que le ministre anglais ayant fait, après avoir couché conjointement avec Esterhazy la note en question, il en était arrivé à la fin que le 25 de novembre dernier il y avait eu dans la maison du Grand-Chancelier un grand conseil,11-1 auquel le Sénat avec les collèges de l'empire et de la guerre avaient assisté, pour y débattre l'affaire de la forteresse; et que, la plus grande part de ce conseil ayant reconnu le danger qu'il y aurait de s'exposer à une guerre pour cet objet, le résultat en avait été qu'on enverrait ordre au sieur Obreskow, résident de Russie à Constantinople, de faire tout son possible pour dissiper l'ombrage que la Porte avait conçu et de tâcher de la disposer à se contenter qu'on fît cesser pour le présent les travaux à la forteresse et que tout restât in statu quo, mais qu'au cas que la Porte ne voulût pas s'en contenter, il aurait à déclarer alors que la Russie abandonnerait entièrement cette construction et ferait bâtir la forteresse dans un autre endroit qui ne causerait aucun ombrage à la Porte. Qu'il avait été encore résolu, dans le même conseil, d'ordonner incessamment la levée de 60,000 recrues pour compléter et augmenter l'armée; qu'en conséquence de ce résultat, les ordres avaient été effectivement expédiés au résident Obreskow, afin de se diriger en conséquence, et à Sainte-Elisabeth, pour qu'on fasse cesser aussitôt tous les travaux à la forteresse commencés et qu'on y laissât toutes choses in statu quo, sans recommencer les mêmes travaux au printemps prochain, à moins que l'on n'en fût amiablement convenu de part et d'autre.
Il a été en même temps fait communication de tout ceci au sieur Guy Dickens, par une note qu'on lui a fait présenter, qui a fini par souhaiter que les ministres des cours alliées agissent de concert avec le résident russien à Constantinople pour radoucir la Porte et la faire continuer dans ses sentiments pacifiques, sans toutefois la flatter mal à propos, afin de ne pas la confirmer, selon la note, dans ses injustes prétentions, et le sieur Guy Dickens est prié de faire à sa cour des représentations convenables pour que l'ambassadeur anglais à Constantinople soit incessamment instruit en conséquence. Ce que Guy Dickens a mandé à sa cour par un exprès.
Au reste, pour ne pas fournir l'occasion aux ennemis de la Russie de faire naître des soupçons à la Porte au sujet de la levée des 60,000 recrues, comme si cette augmentation se faisait dans la vue de lui faire la guerre, et que tout ce que la Russie faisait actuellement, n'était que pour tromper la Porte et pour gagner du temps, on avait eu l'attention de ne pas exprimer dans l'ukase qui devait émaner pour cet effet, le<12> nombre des recrues, en y ordonnant simplement de lever un homme sur cent dans l'empire, ce qui ferait le nombre de 63,000 hommes pour compléter l'armée, pour augmenter chaque régiment de deux compagnies de grenadiers de 300 hommes et d'ériger, au surplus, plusieurs régiments de grenadiers à cheval.
Au surplus, il n'a du tout été question jusqu'ici, à ce qu'on m'assure, touchant la négociation des subsides,12-1 l'importante affaire de la forteresse Elisabeth ayant suspendu apparemment toutes les autres.
Vous voici à présent parfaitement instruit sur ce qui regarde cette affaire, qui apparemment a été le motif de la satisfaction que vous avez remarquée depuis peu au visage du comte Kaunitz; reste à voir à présent si cet air de satisfaction lui continuera, après avoir appris la mort du Grand-Seigneur à Constantinople, dont mes ministres du Département auront soin de vous marquer les circonstances détaillées, qui nous ont été marquées à ce sujet.12-2
Federic.
Nach dem Concept.
10-1 Vergl. Bd. X, 443.
10-2 Funcke.
11-1 Vergl. Bd. X, 498.
12-1 Vergl. S. 5.
12-2 Vergl. Nr. 6588.
9-2 Vergl. S. 8.
9-3 Bericht Maltzahn's, Dresden 4. Januar, auf Grund von drei Depeschen Funcke's an Brühl, d. d. Petersburg 25. November, 2. und 9. December 1754.
9-4 Vergl. Bd. x, 466.