6826. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE EICHEL AU CAMP DE PITZPUHL.
Finckenstein berichtet, Berlin 7. Juni: „Votre Majesté me permettra de Lui faire mon très humble rapport d'un entretien que j'ai eu avant-hier avec le sieur de Wulfwenstjerna au sujet de la mission du sieur Rexin,176-5 dont l'arrivée vient d'être annoncée en Suède par les dernières lettres du sieur Celsing et dont cette cour paraît vivement piquée à cause du peu de confiance qu'elle prétend que Votre Majesté lui a témoignée à cette occasion.
Le sieur de Wulfwenstjerna m'a dit qu'il était au désespoir d'être chargé d'en porter des plaintes, qu'il sentait toute la délicatesse de cette commission, la plus désagréable qu'il ait jamais eue, depuis qu'il avait l'honneur d'être à la cour de Votre Majesté, mais qu'il se voyait dans l'obligation d'exécuter ses ordres, et, pour cet effet, il m'a lu l'extrait d'une dépêche du baron de Hœpken en date du 27 de mai et portant en substance : Qu'on venait d'apprendre par les lettres de Constantinople que le sieur Rexin, après avoir traversé la Pologne, comme officier suédois venant de Stralsund, s'était rendu en cette même qualité, tout en arrivant, au palais de Suède, où il s'était découvert au sieur Celsing comme conseiller privé de commerce de Votre Majesté, chargé de proposer de Sa part un traité d'amitié et de commerce avec la Porte Ottomane et de déclarer que Votre Majesté ne tarderait pas, au cas que cette proposition fût acceptée, d'envoyer un ministre revêtu d'un caractère et chargé des présents nécessaires pour conclure; qu'en même temps le sieur Rexin avait remis au sieur Celsing une lettre instructive de Votre Majesté par laquelle il était requis de
<177>l'assister et de le diriger par ses conseils et de lui procurer les audiences du Grand-Visir et du Sultan, en l'assurant qu'il ne ferait rien en cela qui ne fût agréable à la cour de Suède; que le sieur Rexin gardait encore l'incognito, mais que le sieur Celsing craignait que ce mystère ne cessât bientôt de l'être, puisqu'il avait été obligé de se découvrir chemin faisant au bacha de Chozim.177-1
Le baron de Hœpken fait sur cela les observations suivantes, qui doivent aussi avoir été communiquées au sieur de Maltzahn à Stockholm, savoir que, dans la première confidence que ce ministre de Votre Majesté en avait faite le 4 d'avril,177-2 il en avait parlé comme d'une chose à faire, et non pas comme d'une chose faite; qu'on apprenait cependant à présent que le susdit sieur de Rexin était déjà parti à la fin de janvier177-3 et arrivé à Constantinople dans le temps à peu près où le sieur de Maltzahn avait fait cette première ouverture; qu'il n'avait pas fait mention non plus de la lettre pour le sieur Celsing et qu'il avait paru ignorer entièrement l'objet de cette mission, quoique lui, baron de Hœpken, lui eût témoigné qu'il était important et même nécessaire qu'il en fût informé; que la cour de Suède ne pouvait pas cacher la surprise que lui causait une conduite si mystérieuse dans une affaire où il s'agissait d'un concours de vues et d'intérêts, et où l'on avait employé son ministre sans sa participation; que la seule combinaison des dates constatait l'irrégularité de ce procédé et marquait une défiance qui était peu flatteuse pour la Suède et peu compatible avec les termes d'amitié et d'alliance où elle avait le bonheur de vivre avec Votre Majesté; que, par la même raison, Sa Majesté Suédoise ne pouvait qu'être extrêmement sensible; que cette affaire pouvait, d'ailleurs, la commettre avec des puissances avec lesquelles elle avait des intérêts à ménager. Qu'on s'était donc vu dans l'obligation de faire une forte réprimande au sieur Celsing d'avoir agi et de s'être prêté aux désirs du sieur Rexin,177-4 sans attendre les ordres de sa cour, et qu'on venait également d'écrire à tous les ministres de Suède dans l'étranger,177-5 pour qu'ils n'eussent à faire aucun mystère de cette mission et du peu de part qu'on y avait eu, puisque la Suède ne pouvait pas se charger gratuitement de la haine d'une affaire qui avait été conduite à son insu, et qu'elle ne pouvait par conséquent que désavouer.
Tels sont à peu près les propres termes de cette dépêche dont le sieur de Wulfwenstjerna n'a pas voulu me donner copie. Je lui ai répondu qu'il ne m'appartenait pas d'entrer avec lui dans la discussion de cette affaire, avant que d'en avoir fait mon très humble rapport à Votre Majesté et reçu Ses ordres, mais que je ne pouvais pas m'empêcher de lui dire, comme de moi-même, que j'étais mortifié de voir qu'on prenait les choses si vivement avec un allié aussi respectable que Votre Majesté, et qui avait donné dans tant d'occasions des preuves de sa bonne volonté pour la cour de Suède; que, s'il ne s'agissait que d'une explication amiable sur le retardement qu'on avait mis à faire cette confidence, il serait assez facile de justifier la conduite de Votre Majesté à cet égard, et que cela pourrait se faire d'autant plus aisément que je connaissais toute la pureté des intentions de Votre Majesté; mais que, s'il était vrai qu'on eût voulu se venger en Suède d'une affaire qui n'était tout au plus qu'un simple défaut de formalité, par un désaveu public et par une confidence en forme à toutes les cours de l'Europe, cette conduite me paraîtrait non seulement peu amiable, mais encore très imprudente, puisque ce serait donner de gaieté de cœur une scène et un sujet de triomphe aux ennemis communs et leur fournir l'occasion de faire les insinuations les plus sinistres à la Porte et d'y faire croire que l'amitié et l'union entre Votre Majesté et la Suède n'est pas telle qu'on l'a cru jusqu'ici, ce qui, en affaiblissant le bon système dans l'esprit des Turcs, pourrait avoir des suites très fâcheuses et dont la Suède serait peut-être la première à sentir le contre-coup.
Le sieur de VVulfwenstjerna convint avec moi de la justesse de cette réflexion et il ajouta, en me relisant les termes de sa dépêche, qu'il ne pouvait pas me dire au juste si les ministres suédois avaient reçu l'ordre de faire une déclaration en forme<178> sur ce sujet, ou s'ils étaient simplement instruits à attendre qu'on leur en portât; qu'il espérait que ce serait le dernier cas, et qu'en général il aurait souhaité qu'on eût modéré cette première vivacité, mais que la chose était faite à présent et qu'il n'y voyait plus de remède.
Par cette même raison et puisqu'aussi bien cette affaire va être rendue publique partout, j'ai cru devoir soumettre aux lumières supérieures de Votre Majesté s'il ne conviendrait pas actuellement de mander à Ses ministres aux principales cours de l'Europe par un ordre circulaire qu'à l'imitation du roi de Danemark,178-1 de celui des Deux-Siciles et d'autres, Votre Majesté avait trouvé à propos d'envoyer quelqu'un à Constantinople pour tâcher d'y faire un traité de commerce avec la Porte, sans que personne en dût prendre de l'ombrage, et qu'Elle avait cru devoir adresser par une lettre de recommandation cet émissaire à M. de Celsing, ministre de Suède, pour lui forger une libre entrée, dans la supposition que la cour de Suède, comme amie et alliée, ne trouverait rien à redire, puisqu'aussi bien on l'en avait d'abord informée après le départ de cet agent.
J'hésite d'autant moins à proposer cette idée, qu'elle m'a été fournie par le comte de Podewils, avec qui j'ai encore eu le loisir de communiquer sur toute cette affaire avant son départ, et qui m'a fait espérer que Votre Majesté ne désapprouverait pas la liberté que je prends.
J'attends, au reste, avec le plus profond respect ce qu'il plaira à Votre Majesté de m'ordonner sur cet article, aussi bien que sur la réponse que je dois donner au sieur de Wulfwenstjerna.“
[Camp de Pitzpuhl, 8 juin 1755].
Il doit dire à Wulfwenstjerna qu'en considération de l'alliance qui subsistait entre nous, je voulais bien oublier la sotte déclaration qu'il venait de faire, mais qu'il devait écrire à Hœpken et à son Sénat que je les priais fort de n'y pas revenir, ou que cela romprait toute amitié, et cela sèchement.
Federic.
Nach der eigenhändigen Aufzeichnung in dorso des Berichtes von Finckenstein. Demgemäss Cabinetsschreiben an Finckenstein, d. d. Lager von Pitzpuhl, 8. Juni.178-2
176-5 Vergl. S. 162.
177-1 Vergl. S. 110.
177-2 Vergl. S. 84.
177-3 Vergl. S. 62.
177-4 Vergl. S. 161. 162.
177-5 Vergl. 155 und Nr. 6851.
178-1 Vergl. S. 162.
178-2 In der Vorlage verschrieben: 7. Juni.