7161. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Berlin, 27 décembre 1755.

J'ai reçu votre dépêche du 15 de ce mois. Le projet450-7 dont il est question dans la lettre que vous m'avez faite à mes mains propres immédiatement, me paraît être fort vague et plein de suppositions très difficiles à mettre en exécution; d'ailleurs, autant qu'il m'est revenu des desseins de la France sur l'Angleterre, ils ne pourront réussir que fort difficilement; ce qui en a déjà éclaté, me confirme de plus en plus que la cour de France est trahie même dans ses desseins les plus secrets. Vous n'ignorez pas que, même avant que vous ayez sonné mot d'un dessein pris pour faire des descentes en Angleterre, on en a été déjà informé450-8 et qu'on y a d'abord pris des mesures contre un tel projet, soit en gardant les côtes par des flottes, soit en augmentant les troupes du pays qu'on a mises en Angleterre, sans compter l'Écosse et l'Irlande, sur un pied de 20,000 hommes.

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Je crois être en droit d'en tirer la conclusion qu'il ne serait pas bien possible que les Anglais fussent à l'instant informés des résolutions qu'on prend en France, à moins qu'ils n'y eussent des espions qui les leur trahissent d'abord. Au surplus, vous vous souviendrez de ce que je vous ai marqué à différentes fois sur ce sujet.451-1

Du reste, rien n'est plus naturel que, si l'extrême faiblesse du ministère de France fait de l'impression à la nation, elle en cause de bien plus fortes aux alliés de la France.

Quant à l'affaire du baron de Hœpken en Suède, je ne veux pas vous dissimuler qu'en conséquence de ce que mon ministre en Suède, le comte de Solms, m'a marqué en dernier lieu,451-2 j'ai presque lieu de soupçonner que M. d'Havrincourt n'agit pas en tout par rapport à cette [affaire] conformément aux intentions de sa cour et aussi sincèrement qu'il le voudrait faire accroire, vu ses liaisons particulières avec tout corps du Sénat et les attentions distinguées qu'il témoigne en toute occasion au baron de Hœpken, faisant même tout ce qui dépend de lui pour sauver son ami. Selon le rapport que le susdit comte de Solms [m'a fait], ledit ambassadeur a paru surpris, quand le comte Solms lui a déclaré d'avoir été instruit de moi des sentiments que M. de Rouillé avait à l'égard de cette affaire, de sorte qu'il lui a répondu qu'il fallait qu'il y eût un malentendu dans ceci, que sa cour lui avait simplement ordonné de tâcher à moyenner un adoucissement de la déclaration faite par le sieur de Wulfwenstjerna, qu'il croyait y avoir pleinement satisfait et qu'on ne pouvait pas prétendre davantage sans trop commettre le roi de Suède; et, sur ce que le comte de Solms l'a interrompu en lui disant qu'on ne devait point y mêler le roi de Suède, qui peut-être n'avait entendu parler que fort légèrement de l'affaire, mais que les termes de la déclaration étaient sortis de la plume du baron Hœpken seule, à l'insu même de ses collègues, et que, par cette raison-là, je ne m'attachais aussi qu'à lui en personne et demandais une satisfaction personnelle, l'Ambassadeur a tout employé pour lui persuader que le roi de Suède y avait été mêlé dès le commencement de l'affaire, quoiqu'il ait avoué à la fin que le roi de Suède n'avait point été présent au Sénat, lorsqu'on avait pris la résolution d'ordonner au sieur Wulfwenstjerna de faire des plaintes à moi, et que le baron de Hœpken était allé à la campagne pour lui en faire part; que, cependant, la résolution avait été prise du consentement de tout le Sénat, quoiqu'il fût vrai que le baron de Hœpken était l'auteur de la minute. Voilà des circonstances que j'ai bien voulu vous communiquer pour votre direction seule, laissant, au reste, à votre prudence l'usage que vous trouverez convenable d'en faire; et, quoi qu'il en paraisse et parceque le comte de Solms a ajouté que depuis le marquis d'Havrincourt lui avait dit de<452> n'avoir pu tirer autre réponse du baron Hœpken, sinon qu'il ne pouvait plus s'en mêler, que, cette affaire devenant personnelle à lui, il en ferait son rapport au Roi et au Sénat, je ne puis présumer autrement qu'on voudra me refuser la satisfaction qu'on me doit par rapport aux termes et au mauvais choix dont le sieur de Hœpken a usé dans la déclaration, ce qui m'obligera de rappeler à la fin mon ministre.452-1 J'attendrai, cependant, avant que de m'y déterminer, l'effet qu'opèrera la dernière dépêche de M. de Rouillé au marquis d'Havrincourt; ce dont vous pouvez assurer M. de Rouillé, en lui disant que je verrais toujours avec satisfaction que cette affaire pourrait être composée et, quoique d'ailleurs en tout cas résolu de rappeler le comte de Solms, je n'y précipiterais cependant rien.

Si la cour de France connaissait son propre intérêt, elle sentirait que je n'ai point eu tort de lui dissuader l'alliance avec la Saxe, bien attendu que celle-ci prétendait tirer de son argent, sans vouloir lui fournir des troupes, malgré que les ministres saxons ont déclaré au comte de Broglie qu'ils ne sauraient refuser à la Russie leurs troupes contre les alliés de la France, dans le cas que la Russie leur en ferait la réquisition. Mais c'est aussi ce peu de connaissance des vrais intérêts de France que ledit ministère a marqué jusqu'ici, que la cour de Versailles amènera difficilement celles de Madrid et de Turin de son côté,452-2 parcequ'elles présumeront que des gens à qui leurs propres intérêts sont si indifférents, se soucieront encore moins du salut de leurs alliés.

Pour finir ma dépêche, je vous confirme ce que je vous ai déjà marqué452-3 que les Russes continuent de renforcer leurs troupes aux frontières de Livonie et de Courlande et que les Autrichiens font de même en Moravie et en Bohême; mais que, du contraire, l'Angleterre me fait faire des propositions pour le maintien de la tranquillité de l'Allemagne, et qu'en conséquence de bonnes lettres de Londres452-4 le ministère anglais a fait déclarer formellement au Parlement par le lord Holdernesse que c'était uniquement dans ce but que le roi d'Angleterre avait contracté le traité de subsides avec la Russie.

Federic.

Nach dem Concept.



450-7 Plan des Marschalls Belle-Isle zu einer Landung in Irland oder in England mit 65,000 Mann.

450-8 Vergl. S. 364.

451-1 Vergl. S. 52. 114. 193. 275. 294. 329. 410.

451-2 Berichte des Grafen Solms, Stockholm 5., 9. und 12. December. Vergl. Nr. 7157.

452-1 Vergl. S. 382.

452-2 Vergl. S. 134.

452-3 Vergl. S. 445.

452-4 Bericht Michell's, London 12. December.