7175. AU SECRÉTAIRE MICHELL A LONDRES.

Berlin, 4 janvier 1756.

La dépêche que vous m'avez faite du 23 de décembre dernier,12-2 m'a été fidèlement rendue, au sujet de laquelle je suis bien aise de vous dire que j'ai été entièrement satisfait du projet de traité de neutralité de l'Allemagne à conclure entre moi et le roi d'Angleterre, tel que les ministres anglais l'ont couché et remis à vous.12-3 Cependant, pour qu'il n'y reste aucune équivoque sur les termes y employés par rapport à la qualification de l'Allemagne sous le nom de Saint-Empire Romain, je trouve indispensablement nécessaire que, pour plus de clarté, un petit changement soit fait relativement à ces termes, en sorte que le mot de l'Allemagne soit substitué partout dans le traité à celui de Saint-Empire Romain. Aussi, pour ne laisser rien en arrière qui pût donner lieu à de nouvelles explications avec le ministère anglais, avec lequel je veux agir d'une sincérité sans réserve, j'ai cru être nécessaire qu'il soit fait et signé un article séparé et secret, pour y convenir que les Pays-Bas autrichiens seraient expressément exceptés de la neutralité de l'Allemagne, dont j'espère que nous conviendrons, condition que je mets absolument comme sinequa non. Je ne veux point récapituler ici les raisons que j'y ai, il me suffit de vous renvoyer sur celles que je vous explique dans l'instruction secrète ci-jointe sous la lettre A, et dont vous ne manquerez pas de faire un bon usage envers les ministres anglais,<13> qui raisonnablement, et s'ils veulent [agir] d'un parfait retour à mes intentions droites et à ma sincérité, ne sauront que d'y souscrire. Pour tout le reste, je vous renvoie sur l'instruction cotée de la lettre B et les contre-projets du traité que j'y ai fait joindre, qui vous serviront de direction pour agir dans cette négociation conformément à mes intentions.

Quant aux autres points, je vous dirai que, pour ce qui regarde le reste à payer de ma part des dettes hypothéquées sur la Silésie, vous déclarerez aux ministres anglais que, dès le jour que je serai averti par vous que le traité de neutralité avec son article secret sera signé et ratifié, je lèverai, incontinent après, l'arrêt mis jusqu'ici sur cet argent, et que je m'en acquitterai fidèlement, du capital et des intérêts. Il sera, cependant, très nécessaire qu'au même temps vous règlerez avec ledit ministère la somme que l'Angleterre paiera à mes marchands au sujet des prises faites sur eux durant la dernière guerre, conformément à ce que milord Holdernesse s'est engagé là-dessus envers vous, en sorte que tout soit réglé également et en même temps, pour que toute pierre d'achoppement soit levée de la même bonne foi dont je veux en user avec les Anglais. Au surplus, je m'attends que vous emploierez tous vos soins à ce que la somme en soit stipulée au moins à 20,000 livres sterling, dont je me contenterai.13-1

Quant au traité de commerce à faire entre moi et la Grande-Bretagne, que le ministère anglais a proposé sur le pied de celui que l'Angleterre a conclu avec la Suède l'année 1672, je suis en peine de vous dire que, malgré toutes les recherches faites ici, on n'en a pu trouver ici aucun exemplaire ni vestige jusqu'à présent,13-2 de sorte qu'il faut bien, pour ne pas me précipiter, ni m'engager sur une chose que je n'ai point vue, ni appris les stipulations, que je remette jusqu'au premier ordinaire de vous déclarer mon intention là-dessus, étant d'ailleurs toujours prêt à m'entendre sur ce sujet avec l'Angleterre.

Au surplus, vous observerez bien que, dès que vous aurez remis et fait voir [aux ministres anglais] mon contre-projet du traité de neutralité avec celui de l'article secret, vous leur demanderez, quoiqu'en termes très polis et obligeants qui ne sentent la moindre menace, s'ils les croient conformément aux intentions du Roi leur maître et si je puis positivement m'attendre qu'ils y souscriront. Il m'importe extrêmement de savoir au plus tôt où j'en serai avec eux, vu que de la part de la France le duc de Nivernois13-3 arrivera au premier jour ici, et qu'il faut en conséquence que je puisse me décider sur mon parti à prendre. Vous parlerez tout naturellement aux ministres anglais sur ces circonstances et sur la nécessité qu'il y avait pour savoir au plus tôt mieux où j'en serai avec l'Angleterre; aussi ma volonté est que, dès que vous aurez appris le sentiment des ministres anglais sur ce sujet,<14> vous m'en informiez, incontinent après, de la manière la plus exacte et que j'y puisse compter, en renvoyant expressément le courrier avec le rapport que vous m'en ferez, en attendant que vous poursuivrez la négociation et que vous m'enverrez par un autre courrier le traité de neutralité signé selon mes intentions, quoique ce soit huit jours plus tard.

Je finis par vous dire que vous devez tout attendre de ma reconnaissance, si vous vous conduisez dans cette négociation en conséquence du zèle et de l'attachement pour mes intérêts et pour mon service que vous m'avez fait éprouver jusqu'ici, et conformément à mes ordres et intentions, et, quant aux avances que vous avez faites au sujet de l'envoi de votre premier courrier, j'ai ordonné au sieur Splitgerber de vous les faire rembourser incontinent par son correspondant à Londres contre votre quittance, et, s'il y a d'autres frais encore que vous débourserez à ce sujet, vous n'aurez qu'à m'envoyer les comptes, qui vous seront bonifiés d'abord.

Federic.

A.
Instruction secrète au sieur Michell à Londres.

Berlin, 4 janvier 1756.

La commission dont je vous charge, est très importante, pourquoi vous devez vous en acquitter avec la plus grande prudence. Je ne veux ni tromper les Anglais, ni n'être trompé par eux;14-1 mais comme il y a une façon de l'être en employant des termes vagues et d'une explication indéterminée, je vous enjoins surtout et je vous ordonne de ne vous relâcher en rien sur l'article secret qui regarde l'exclusion du Brabant et de la Flandre de la garantie de l'Allemagne, ni du nom d'Allemagne substitué à celui d'Empire Germanique, qui pourrait faire sousentendre le cercle de Bourgogne comme compris dans la garantie.

Il faut surtout que vous fassiez sentir aux ministres anglais que n'ayant d'autre raison pour faire ce traité que le désir que j'ai de maintenir mes États et l'Allemagne en paix, je ne voulais m'engager à rien qui pût m'entraîner dans la guerre, et que, si j'avais eu l'envie de la faire, je n'aurais jamais donné les mains à ce traité.

Quant au ménagement que le Roi veut garder pour tenir ce traité secret,14-2 ce sont des choses qui me sont entièrement égales. Qu'il envoie un ministre, qu'il n'en envoie point, il lui est libre sur cela de faire ce qu'il trouve à propos; mais quant à l'étendue de la garantie, je ne prétends pas que sous aucun prétexte on puisse l'étendre au delà des possessions du Roi en Allemagne.14-3

<15>

Vous leur direz d'ailleurs que, quant à l'article secret que j'ai joint au traité, il ne contient rien qui doit les étonner, ni même dont l'Impératrice-Reine peut se plaindre, à cause que dans le traité de Breslau et dans celui de Dresde je n'ai étendu ma garantie que sur ses possessions en Allemagne,15-1 en excluant l'Italie et la Flandre,15-2 et comme je ne demandais pas des garanties à la Reine-Imperatrice, il était juste que je ne lui en donnasse point.


B.
Instruction pour le sieur Michell, chargé d'affaires du Roi à la cour de Londres, concernant un traité de neutralité à conclure entre Sa Majesté et Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne, relativement aux États de l'Allemagne.15-3


C.
Contre-projet de la convention de neutralité de l'Allemagne, à faire entre Sa Majesté le roi de Prusse et la Grande-Bretagne.

D'autant que les différends qui se sont élevés en Amérique entre le roi de la Grande-Bretagne et le Roi Très Chrétien, et dont les suites deviennent de plus en plus critiques, donnent lieu de craindre pour la tranquillité publique en Europe, Leurs Majestés Britannique et Prussienne, attentives à un objet si intéressant et également animées du désir de conserver la paix générale de l'Europe et celle d'Allemagne15-4 en particulier, ont bien voulu se concerter sur les mesures qui puissent contribuer le plus efficacement à une fin si désirable; et, pour cet effet, elles ont autorisé etc.

Art. 1

Il y aura entre Sa Majesté Britannique et Sa Majesté Prussienne une paix sincère et une amitié réciproque, nonobstant les troubles qui pourront s'élever en Europe en conséquence des différends susmentionnés.<16> En suite de laquelle, aucune des parties contractantes n'attaquera ni n'envahira directement ni indirectement le territoire de l'autre; mais, au contraire, elles feront, chacune de son côté, tous leurs efforts pour empêcher leurs alliés respectifs de rien entreprendre contre ledit territoire, de quelque manière que ce puisse être.

Art. 2.

En cas que, contre toute attente et en violation de la tranquillité que les hautes parties contractantes entendent maintenir par ce traité dans l'Allemagne,16-1 quelque puissance étrangère fît entrer des troupes dans ladite Allemagne,16-2 sous quelque prétexte que ce puisse être, les deux hauts contractants uniront leurs forces pour s'opposer à l'entrée ou au passage16-3 de telles troupes étrangères et à cette infraction de la paix et pour maintenir la tranquillité en Allemagne,16-4 selon l'objet du présent traité.

Art. 3.

Les hautes parties contractantes renouvellent expressément tous les traités d'alliance et de garantie qui subsistent actuellement entre elles, et nommément l'alliance défensive et de garantie réciproque conclue à Westminster entre Leurs Majestés Prussienne et Britannique le 18 de novembre 1742, la convention arrêtée entre Leursdites Majestés à Hanovre le 26 d'août 1745 et l'acte d'acceptation de Sa Majesté Prussienne de celui de garantie de Sa Majesté Britannique du 13 d'octobre 1746 etc.


Projet de l'article secret et séparé.

Comme la présente convention de neutralité, signée en date d'aujourd'hui par les ministres de Sa Majesté le roi de Prusse et de Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne, munis des pleins-pouvoirs nécessaires pour cet effet, ne regarde que l'Allemagne, cette convention ne doit point être étendue aux Pays-Bas autrichiens et leurs dépendances, qui ne doivent point être censés compris dans la présente convention de neutralité, sous quelque prétexte que cela puisse être, d'autant plus que Sa Majesté le roi de Prusse n'a garanti dans le 8e article de la paix de Dresde à Sa Majesté l'impératrice-reine de Hongrie et de Bohême que les États qu'elle possède en Allemagne. Cet article secret et séparé aura la même force que s'il était inséré de mot en mot dans la présente convention de neutralité signée aujourd'hui.


Nach dem Concept.

<17>

12-2 Vergl. Nr. 7167.

12-3 Vergl. Beilage C nebst den dazu gehörigen Anmerkungen und Nr. 7167 S. 1.

13-1 Vergl. Bd. X, 55. 56.

13-2 Vergl. S. 22.

13-3 Vergl. Bd. XI, 436.

14-1 Vergl. Bd. XI, 414.

14-2 Vergl. S. 4.

14-3 In einem eigenhändigen ersten Entwurfe des Königs „Instruction à Michell“ folgen hier die in der Ausfertigung fortgelassenen Sätze: „Je peux être ami du roi d'Angleterre, mais je ne peux jamais l'être de l'Impératrice. Je ne lui demande aucune garantie, ni ne lui en donnerai de même. Vous pouvez encore par manière de discours faire observer au ministère d'Angleterre que je lui rends un grand service en le soulageant par ce traité des énormes subsides qu'il aurait été obligé de payer aux Moscovites, et qui n'auraient cependant pas préservé l'électorat d'Hanovre de sa ruine; vous lui ferez remarquer encore qu'il est payé d'ingratitude par la cour de Vienne, pour laquelle il a tout sacrifié durant la dernière guerre, et qu'il est bon dans plus d'une occasion d'avoir plus d'une corde à son arc, qu'il peut arriver que cette cour arrogante se sépare tout-à-fait d'eux, et qu'alors ils seront bien aises de trouver dans l'Empire un allié qui soit en état de leur Tendre les services que je peux leur rendre.“ Die folgenden Worte „Vous leur direz“ bis „et la Flandre“ sind in diesem eigenhändigen ersten Entwürfe nachträglich, hinter einem Schlussstriche, hinzugefügt.

15-1 Vergl. Bd. V, 166 Anm. 3.

15-2 Das folgende fehlt in dem ersten Entwurfe.

15-3 Ministerialinstruction, entspricht den am 1. Januar durch Eichel übermittelten Weisungen. (Vergl. Nr. 7168.)

15-4 Englisches, von Michell übersandtes Project (vergl. S. 1): celle de l'Empire Germanique.

16-1 Englisches Project: dans le Saint-Empire Romain.

16-2 Englisches Project: dans ledit Empire ou sur quelque partie de son territoire ou dépendance.

16-3 Englisches Project: nur „à l'entrée“ .

16-4 In einer Abschrift des Contreprojects findet sich die eigenhändige Aenderung: les deux hauts contractants „feront respectivement tous leurs efforts auprès de leurs alliés par des représentations les plus énergiques pour les empêcher de troubler le repos de l'Allemagne.“ Diese Aenderung ist in dem obigen an Michell abgegangenen Exemplar des Contreprojects nicht beibehalten.