7359. AU DUC DE NIVERNOIS, MINISTRE DE FRANCE, A BERLIN.
[Potsdam], 18 mars 1756.
Monsieur le Duc. J'ai reçu la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire,199-1 avec la dépêche du baron de Knyphausen.199-2 Je ne doute point que votre cour ne vous en ait communiqué le contenu. J'y vois, par la réponse au mémoire des Anglais,199-3 que le roi de France pourrait se déterminer à faire aux Anglais quelque cession au Canada, si ces mêmes Anglais commençaient, comme un préalable, à restituer les prises qu'ils ont faites, de tous les vaisseaux français. J'y vois d'ailleurs qu'on souhaite en France que je continue cette négociation. Il s'agit à présent d'envoyer la réponse du roi de France aux Anglais, mais comme mes intentions n'ont pour objet que de travailler à l'aplanissement des différends qu'il y a entre les deux nations, et de rendre tous les services dont je suis capable, au roi de France, je commence par vous communiquer les idées qui me sont venues sur ce sujet, avant que d'en faire usage, vous priant de me dire sur tous les points qu'elles contiennent, votre sentiment avec la plus grande franchise.
Je ne sais si j'ai bien saisi la réponse des Français, mais je crois y avoir entrevu que ce ne seraient pas les contestations de l'Amérique qui arrêteraient la paix, pourvu que les Anglais restituassent, avant tout, leurs prises. Je crois donc qu'il y aurait moyen de parvenir à la paix, et voici comment je suppose que cela se pourrait faire. Je demanderais aux Français quelles conditions avantageuses ils pourraient faire aux Anglais, en cas que ceux-ci leur restituassent leurs vaisseaux. Quand je saurai le dernier mot des Français, je demanderai aux Anglais s'ils se contenteraient de ces conditions pour préliminaires, au cas qu'on pût les leur faire obtenir, et si, en ce cas, ils voudraient commencer par établir un armistice et restituer les vaisseaux. S'ils consentent à ces propositions, je me rendrai caution des articles préliminaires. Ils restitueront leurs prises, et alors des députés des deux nations pourront aplanir le reste des difficultés dans un congrès.
J'attends votre réponse, pour suivre cette idée, si vous croyez qu'elle soit du goût de votre cour, ou pour y changer ce que vous croirez d'inaliénable aux intérêts de la France.
<200>Je serai charmé de vous voir ici avec le marquis de Valory;200-1 mais tout ancien ami qu'il est, il ne vous remplacera jamais. Je dois ménager votre modestie, Monsieur, mais vous ne m'empêcherez pas de penser ni de dire ce que je pense. Toutefois pouvez-vous être sûr que votre souvenir ne périra pas dans ce pays, tant que je l'habiterai. La nature m'a donné une âme sensible et un cœur reconnaissant, et il ne faut que cela pour conserver une impression éternelle du séjour que vous avez fait ici. Soyez persuadé que vous conserverez dans ce paysci des amis qui ne le cèderont point, en sentiments, aux parents que vous avez en France. J'espère que vous me compterez de ce nombre et que vous ajouterez foi à l'amitié et à l'estime que je vous ai vouées.
Federic.
Nach der von Nivernois eingesandten Abschrift im Archiv des auswärtigen Ministeriums zu Paris.
199-1 D. d. „à Berlin le mercredi à minuit“ d. i. 17. März.
199-2 D.d. Paris 13. März. Vergl. Nr. 7364.
199-3 Vergl. S. 205.
200-1 Valory kam am 20. März in Berlin an und hatte am 23., in Begleitung des Herzogs von Nivernois, seine erste Audienz in Potsdam.