7500. AU SECRÉTAIRE MICHELL A LONDRES.

Potsdam, 18 mai 1756.

Le ministère de France ayant remis à mon ministre à Paris, baron de Knyphausen, le 4 de ce mois sa réponse à la réplique de l'Angleterre que vous m'avez envoyée en dernier lieu, et que j'avais fait communiquer à la France,335-2 je vous l'adresse ci-clos telle que je l'ai reçue,335-3 et dont vous ne laisserez pas de tirer une copie exacte et fidèle, bien collationnée, pour la communiquer aux ministres de ma part, en leur représentant que j'étais bien fâché de ce que cette réponse n'était pas telle encore que je l'aurais souhaitée pour rapprocher l'accommodement désirable, mais que je priais les ministres anglais de ne pas vouloir pour cela sister tout court toute négociation, mais bien la faire traîner encore par quelque autre réplique de sa part, où, selon mon avis, l'on ne touchera pas au fond des affaires, mais seulement aux moyens pour parvenir à rentrer en négociation pour un accommodement entre les deux couronnes, enfin de chicaner le terrain, pour me mettre à même de tenir en haleine le chipotage, jusqu'à ce que quelque évènement fournisse l'occasion de mettre plus de vigueur dans la négociation et d'y entrer tout d'un coup selon la conjoncture, pour concilier les différends.

Je viens de recevoir votre dépêche du 7 de ce mois.

Pour ce qui regarde le prince héréditaire de Hesse-Cassel et les influences que son changement de religion saurait avoir dans les affaires politiques, aussi bien que le chipotage des cours de France et de Vienne, je m'en suis amplement expliqué avec le sieur Mitchell, qui m'a promis d'en faire ses dépêches par un courrier qu'il expédiera.335-4 Il me reste cependant à vous dire encore que, dans les entretiens que j'ai eus avec le susdit Prince, je me suis aperçu qu'il est le plus aigri contre le Roi son beau-père335-5 et contre la Princesse son épouse; néanmoins, vous assurerez aux ministres que j'emploierai tous mes soins et tout ce qui me sera humainement possible, pour radoucir le Prince sur ce sujet et pour lui inspirer des sentiments de modération, sur quoi il ne sera certainement rien oublié de ma part.

<336>

Vous dites d'ailleurs que le ministère anglais est bien résolu, malgré l'évènement fâcheux avec Minorque, de ne se relâcher en rien des prétentions que l'on croit avoir contre la France.336-1 Sur quoi, je vous dirai que, dans ce cas-là, je suis dans une forte appréhension que la France offre la cession de Minorque et Port-Mahon à l'Espagne, pour l'attirer par ce grand appât dans ses intérêts et lui faire faire cause commune avec la France contre l'Angleterre,336-2 ce qui ne saurait manquer que de rendre la guerre presque générale et très onéreuse à l'Angleterre. Aussi, pour prévenir au possible un évènement si fatal, vous direz aux ministres qu'ils prennent au moins de bonnes mesures pour s'assurer bien de la cour d'Espagne, surtout dans un moment où la France y envoie l'abbé de Bernis, pour y faire sans doute des propositions bien séduisantes, afin de n'avoir pas à craindre que l'Espagne soit débauchée de l'Angleterre, ni que la guerre soit prolongée par là.

Au surplus, mes dernières nouvelles de Paris336-3 sont que les entrevues du comte de Starhemberg avec le ministère de France deviennent de jour en jour plus fréquentes, de sorte qu'il ne faudrait plus douter que la signature du traité entre les deux cours ne fût, sinon déjà faite, au moins extrêmement prochaine. Je vois par tout ceci avec le dernier chagrin que les esprits, tant en France qu'en Angleterre, s'éloignent de plus en plus des sentiments pacifiques et qu'il ne sera pas aussi aisé de les amener à un accommodement que je me le suis représenté au commencement.336-4

Il faut que je vous [dise] d'ailleurs que, quoique la cour de Londres paraisse être tout-à-fait assurée de celle de Pétersbourg, pour pouvoir y tabler sûrement, j'ai cependant eu des nouvelles très sûres qui me font douter si l'Angleterre n'y compte pas avec trop d'assurance, et vous direz à milord Holdernesse, en le priant de vouloir bien m'en garder le secret, au moins que je n'en apparaissais en rien là-dessus, que j'avais appris par un très bon canal336-5 que l'impératrice de Russie, son ministère et surtout le grand-chancelier Bestushew étaient plus mécontents que jamais de la conduite de l'Angleterre, que, par les inspirations de la cour de Vienne, qui qualifiait de défection du roi d'Angleterre la démarche qu'il avait faite de conclure avec moi une convention de neutralité, les susdits ministres, tout comme leur souveraine, s'expliquaient de la même manière que la cour de Vienne, bien que le Grand-Chancelier tâchât de modérer autant que possible l'humeur de l'Impératrice,336-6 afin, à ce qu'il s'en explique, qu'il n'en résultât pas des suites pernicieuses, dans l'espérance où il était de ramener la Grande-Bretagne dans ce qu'il appelle le bon chemin. Que le premier terme des subsides n'était pas encore accepté ni refusé, qu'on déclarait seulement qu'on s'en tiendrait au résident anglais Wolf, et que non plus les présents selon l'étiquette<337> pour les deux chanceliers n'étaient pas encore payés.337-1 Qu'on avait écrit au sieur Golyzin que l'intention de la Russie était à la vérité de remplir ses engagements avec la Grande-Bretagne, mais qu'elle voudrait savoir positivement jusqu'où elle pourrait prendre en conséquence ses mesures sans l'Angleterre, de même si celle-ci préférait aux liaisons et à l'amitié de l'Impératrice celle de la Prusse, après les arrangements pris avec moi. Qu'on avait d'ailleurs instruit le susdit sieur Golyzin pour faire plusieurs réflexions et reproches sur la publication prématurée du traité de subsides avec l'Angleterre, en le faisant imprimer à Londres, tandis qu'on avait observé un secret impénétrable pendant tout le cours de la négociation avec moi et qu'il y avait même lieu de soupçonner que la communication de la convention avec moi était mutilée.

Quoiqu'il paraisse clairement que tout ce langage que le ministère russien tient à ce sujet, lui a été prêté et inspiré de la cour de Vienne, et que j'aie trouvé d'ailleurs extrêmement étrange le terme de défection dont on s'est servi à l'égard de Sa Majesté Britannique, comme s'il n'était pas libre à une puissance souveraine qui paie les frais d'une alliance et qui en fait la partie principale pour la soutenir, d'agir selon ses intérêts les plus convenables, vous ferez cependant observer à milord Holdernesse, en lui expliquant en détail tout ce que dessus, quoique verbalement et sans permettre qu'il en soit pris quelque chose par écrit, que la situation des affaires à la cour de Pétersbourg n'était pas telle qu'on se le figurait à Londres, et qu'il faudrait en conséquence qu'on y eût une attention particulière pour travailler, sérieusement et sans perte de temps, à désabuser cette cour de toutes les faussetés et des soupçons que la cour de Vienne lui a soufflés, afin d'en ramener l'impératrice de Russie et ses ministres et de pouvoir en être assuré et ne plus avoir à craindre que la cour de Vienne ne sépare entièrement la Russie de l'Angleterre et l'attire dans ses vastes vues particulières. J'attends le rapport que vous me ferez de la réponse que le lord Holdernesse vous fera sur tout ceci.

Federic.

P. S.

Pour ce qui regarde encore le prince héréditaire de Cassel, je veux bien ajouter encore à ce que je vous en ai dit dans ma dépêche, que vous ne vous expliquerez à ce sujet qu'envers le ministre d'Hanovre, le baron de Münchhausen seul, à qui vous direz d'ailleurs de ma part que, dans le premier entretien que j'avais eu avec le Prince,337-2 il m'avait<338> d'abord et de son propre gré donné les plus fortes assurances que, quand un jour il viendrait à succéder à son père, il n'obligerait jamais ni son épouse, ni ses enfants, ni aucun de ses sujets, à changer de religion et que c'était le système invariable qu'il s'était formé. Quoique je sais combien je m'y dois fier, je n'ai pas manqué de fortifier au possible le Prince dans ces sentiments, en lui faisant envisager les suites pernicieuses qui en résulteraient, s'il se départait jamais des engagements pris avec son père, et qu'il s'en élèverait une funeste guerre où son pays serait obligé de mettre la nappe aux deux partis. Vous assurerez le sieur de Münchhausen que je ferai tout ce qui sera humainement possible pour adoucir les sentiments de ce Prince, mais qu'il m'avait fait sousentendre une chose qui ne laissait pas que de m'embarrasser étrangement, c'est qu'il était déterminé, après qu'on avait séparé sa femme de lui, de se remarier, dès que son père serait mort, à une princesse catholique; article qui me paraît bien difficile pour l'en dissuader, si une fois il s'est déterminé fermement, comme il m'a paru l'être.

Federic.

Nach dem Concept.



335-2 Vergl. S. 277.

335-3 Vergl. Nr. 7506.

335-4 Vergl. S. 330. 331.

335-5 Georg II.

336-1 Vergl. S. 142. 143.

336-2 Vergl. S. 321.

336-3 Bericht Knyphausen's, Paris 7. Mai. Vergl. Nr. 7501.

336-4 Vergl. S. 36.

336-5 Das Folgende nach dem Berichte Maltzahn's, d. d. Leipzig 12. Mai. Vergl. Nr. 7503.

336-6 Vergl. S. 262.

337-1 In Maltzahn's Bericht vom 12. Mai lautet die bezügliche Stelle: „Que le premier terme des subsides anglais n'avait pas été payé encore, non plus que les présents selon l'étiquette pour les deux chanceliers. Il y avait ici un passage qu'il m'est impossible de comprendre, et que je copierai mot pour mot : « Das erste Geld war noch nicht angenommen, aber auch noch nicht ausgeschlagen, » seulement, poursuit-il [le sieur Funcke], on a déclaré qu'on s'en tiendrait au résident anglais; que peu de jours après on avait écrit au knès Golyzin etc.“

337-2 Vergl. S. 279. 280.