7551. AU SECRÉTAIRE MICHELL A LONDRES.

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Michell berichtet, London 28. Mai : „Le grand point auquel les ministres sont résolus de porter principalement leur attention dans le moment présent, c'est en Russie, c'est là où ils veulent travailler et empêcher que les insinuations malignes des Autrichiens n'y fissent fortune, et c'est aussi là où Votre Majesté verra qu'on s'attache le plus, à l'heure qu'il est. On ne veut rien épargner pour cet effet, et je puis assurer Votre Majesté, par le langage qu'on m'a tenu, que, si contre toute attente on cherche à débaucher la Russie,

Stettin, 8 juin 1756.

Les dépêches que vous m'avez faites du 21, du 25 et du 28 de mai, m'ont été fidèlement rendues.389-1 Je vous ai déjà informé de ce qui m'est revenu au sujet d'un émissaire de la France à la cour de Pétersbourg, nommé Douglas.389-2 Comme, du depuis, mon chargé d'affaires à la Haye, le sieur de Hellen, vient de me mander389-3 qu'on avait là la

comme on le soupçonne en suite d un paquet de lettres que l'on sait avoir passé à la Haye, adressé au marquis de Bonnac de la part du vice-chancelier de Russie, et que la France vienne à offrir à la Czarine des subsides considérables, on est bien déterminé ici d'aller au delà de toutes les offres qu'on pourrait lui faire; les ministres seraient soutenus dans une telle démarche par la nation, et celle-ci ouvrirait avec empressement les cordons de la bourse pour cet effet.“

nouvelle d'un nouveau phénomène politique, savoir d'un chipotage entre la France et la Russie, et que d'ailleurs le comte Golowkin, ministre de Russie à la Haye, avait reçu ordre de sa cour de vivre dorénavant en bonne harmonie et en plus grande liaison avec les ministres de France390-1 — qui390-2 d'abord était aussi allé voir [le comte Bonnac] jusques à trois fois, où entre autres il lui, le comte Bonnac, avait remis un paquet pour le sieur Rouillé — j'ai cru nécessaire de vous avertir de cette circonstance, dont apparemment aussi les ministres anglais seront déjà informés par le sieur Yorke, et vous ordonner de parler sur ce sujet à ces ministres et de leur dire de ma part qu'après ce nouvel évènement il ne resterait au roi d'Angleterre et à moi que de former entre nous un concert solide, pour obvier à un mal qui, pourvu qu'on n'y prît pas toute l'attention possible et n'employât pas d'abord les mesures nécessaires, saurait avoir des suites assez funestes. Qu'avant que d'entrer en matière là-dessus, j'assurais le roi d'Angleterre que, quel train que ces affaires sauraient prendre, il saurait compter que je remplirais fidèlement les engagements que j'avais pris avec lui, quoi qu'il en arrive. Que cependant, en combinant ces nouvelles de la Haye avec la mission de l'émissaire Douglas et les liaisons que les cours de Vienne et de Versailles venaient de prendre ensemble, je croyais avoir lieu d'en tirer la conséquence que ces deux cours étaient convenues entre elles d'entraîner la Russie pour faire cause commune avec elles dans la conjoncture présente, et que je commençais à croire que la cour de Vienne n'aurait pas signé la convention avec la France, si elle ne se croyait pas assurée de l'accession de la Russie, et que c'était la raison pourquoi elle s'était expliquée envers le sieur de Keith d'une façon extraordinaire et peu décente,390-3 et que d'ailleurs cette cour ne voudrait rendre publique sa convention faite avec la France, avant que de savoir si la France parviendra à être d'accord avec la Russie.

Parmi ces circonstances donc, je croyais que le point principal serait que l'Angleterre ne perdît plus aucun temps — tout comme vous me marquez que le Roi en a déjà pris la résolution de faire — pour employer tous efforts afin de détourner la Russie de pareils engagements et de la retenir plutôt dans ceux qu'elle a contractés [avec] l'Angleterre; mais que, dans le cas que la cour de Pétersbourg se fût déjà trop avancée avec la France et l'Autriche, de sorte qu'on ne saurait plus l'en faire revirer, et qu'elle eût abandonné l'Angleterre, il faudrait<391> songer à d'autres expédients pour se soutenir contre une ligue aussi formidable et supérieure en forces, dont, à mon avis, un des plus efficaces serait de faire travailler d'abord le ministre anglais à Constantinople pour exciter l'attention de la Porte Ottomane à cet évènement et lui en inspirer de la jalousie, afin de faire une déclaration vigoureuse aux cours de Russie et de Vienne, que, dans le cas qu'elles remueraient, la Porte ne saurait voir cela d'un œil indifférent et qu'elle leur déclarerait, à l'une ou l'autre, la guerre. Vous ajouterez que je croyais cette chose indispensablement nécessaire, afin que, dans le cas que les puissances susdites voulussent nous attaquer avec des forces supérieures, nous sachions leur faire faire une diversion efficace et faire partager leurs forces, qui sans cela nous sauraient mettre dans le risque d'en être accablés.

Qu'outre cela, et dans le cas que les avis d'un concert pris entre la France et la Russie [se confirmassent], j'estimais convenable et nécessaire que le roi d'Angleterre augmentât ses troupes hanovriennes au nombre d'en remplir le vide qui y existait par celles qu'on avait fait transporter en Angleterre.391-1

Et comme d'ailleurs le ministère britannique demandait mon avis au sujet des princes de l'Empire qu'on saurait engager moyenannt des subsides, j'estimais qu'il n'y aurait rien de plus utile que de s'attacher l'électeur de Cologne, tant pour ses troupes que pour mettre obstacle au passage de ceux qui voudraient tenter d'envahir les États du Roi en Allemagne. Et comme le traité de subsides entre la France et le duc de Brunswick allait finir au mois de décembre qui vient,391-2 on saurait tirer de celui-ci 4 à 5,000 hommes; que, de plus, le landgrave de Cassel saurait sans difficulté fournir, contre une augmentation des subsides,391-3 encore un nombre de troupes pareil à celui qu'on avait fait transporter en Angleterre, auxquelles, si on y ajoutait les 3,000 hommes que le margrave d'Anspach391-4 s'était obligé de fournir, et celles des princes de Gotha, de Weimar et d'autres princes d'Empire du second ordre, on saurait aisément [avoir] un corps de 40 ou de 50,000 hommes pour s'opposer aux entreprises sur l'Hanovre. Quant à la Bavière, je craignais seulement que, vu sa situation assez éloignée et qu'elle confine à l'Autriche,391-5 elle ne soit pas assez à même d'envoyer d'abord et au point nommé ses troupes là où le roi d'Angleterre le trouverait nécessaire. Que, quant à la Saxe, son état de faiblesse extrême391-6 ne permettrait pas qu'on en sût tirer quelque avantage, pour ne pas dire que son premier ministre était autrichien à n'en pouvoir plus revenir, et que par là des engagements à prendre avec la Saxe seraient toujours fort hasardés, pour que les arrangements pris par l'Angleterre pour ses opérations contre l'ennemi ne fussent trahis, pour ne point dire que la cour de Dresde a des ménagements extrêmes à garder avec la France<392> pat rappport à la Dauphine,392-1 et que généralement on n'en saurait tirer aucun secours efficace. Aussi, ce que je ne vous dis que pour votre direction seule, vous emploierez tout votre savoir-faire afin d'amener la chose au point qu'on ne songe plus à traiter avec la Saxe sur ce sujet.

Ainsi tout mon sentiment, dans ce moment extrêmement critique, roule sur ces deux points que l'Angleterre tâche, préalablement, par tous les moyens convenables de se conserver la Russie et d'employer tous ses efforts pour en empêcher la défection, vu qu'alors il n'y aura point à craindre de la guerre dans l'Allemagne; et en second lieu, s'il n'y a plus moyen d'y parvenir, que le roi d'Angleterre de son côté, tout comme moi du mien, tâchions de nous mettre dans un état le plus formidable par des levées de nouvelles troupes, par des subsides etc., autant que la situation et les forces d'un chacun le permettront, afin que nous soyons à même de nous opposer aux entreprises que l'ennemi voudra tenter contre nous l'année qui vient, et de nous assurer des Turcs, pour les faire remuer, dans le cas que la Russie se déclarerait pour l'Autriche et la France.

Ce sont mes sentiments, que j'abandonne cependant à la considération du roi d'Angleterre et des ministres, afin d'y aviser et voir s'il y a d'autres expédients plus convenables à prendre. Pour moi, je compte toujours que, dans le cas de la défection de la Russie, un des moyens des plus efficaces pour faire diversion à l'ennemi et rompre ses mesures, sera de s'assurer de la Porte Ottomane, mais auquel sujet il faudra mettre d'abord les fers au feu, vu le grand éloignement des deux États, et pour ne pas se laisser prévenir des autres.

A cette occasion, je veux bien que vous fassiez confidence aux ministres anglais que, comme il était déjà deux ans passés392-2 que j'avais fait sonder secrètement la Porte Ottomane si elle saurait bien prendre des liaisons défensives avec moi, elle y a répondu assez favorablement,392-3 et comme du depuis j'avais envoyé dans le décembre dernier un certain de Varrenne,392-4 pour y tâter le terrain si la Porte continuait de prendre des engagements avec moi, quoique purement et simplement défensifs, je me flattais que le ministère anglais voudrait bien à présent, pour le propre intérêt de l'Angleterre, appuyer cette négociation, dont j'attendais par vous leur sentiment, afin d'y pouvoir m'arranger.

Il y a encore une chose sur laquelle je souhaite fort que les ministres anglais voudraient s'expliquer tout naturellement et sans gêne, savoir si, au cas que la Russie m'attaquât en haine de la convention que j'ai faite avec l'Angleterre, si, dis-je, celle-ci voudrait bien envoyer alors une flotte dans la Baltique pour protéger mes rives contre des incursions de l'ennemi, sur quoi je voudrais bien que les ministres<393> d'Angleterre s'expliquassent rondement avec moi, afin de pouvoir prendre mon parti en conséquence.

Quant à la demande des ministres pour faire faire de ma part des insinuations aux États-Généraux de la république de Hollande, afin de se mettre en état de défense et entrer dans nos vues, j'avoue que je n'ai aucun engagement ni parti dans celui qui s'appelle stathoudérien, ni dans celui des pacifiques, et qu'en conséquence mes représentations ne sauraient guère porter coup; que, cependant, si le ministère croit convenable que je donne des instructions à mon chargé d'affaires à la Haye d'aller en tout de concert avec le ministre de la Grande-Bretagne à la Haye, je m'y prêterai avec plaisir.

Du reste, quand vous aurez tout dit aux ministres anglais de mon intention invariable pour remplir mes engagements pris avec l'Angleterre, et des moyens pour nous soutenir efficacement, vous leur représenterez que je donnais à leur considération s'il ne valait pas mieux de prévenir à temps encore tous les malheurs indispensables d'une guerre par un accommodement équitable des différends élevés entre l'Angleterre et la France,393-1 afin de ne pas exposer sans cela à la ruine les possessions de l'Angleterre et mes États.

Vous me rendrez un compte exact et bien détaillé de ce que vous aurez eu en réponse sur tout ce que dessus.

Federic.

Nach dem Concept.



389-1 Ueber den Inhalt des Berichtes vom 28. Mai vergl. auch Nr. 7550.

389-2 Vergl. Nr. 7521.

389-3 Bericht Hellen's, Haag 31. Mai. Vergl. Nr. 7552.

390-1 Bonnac und Affry.

390-2 Golowkin.

390-3 Vergl. S. 362.

391-1 Vergl. S. 329.

391-2 Vergl. Bd. XI, 192.

391-3 Vergl. Bd. XI, 226.

391-4 Vergl. Bd. XI, 391.

391-5 Vergl. Bd. XI, 434.

391-6 Vergl. S. 332; Bd. XI, 485.

392-1 Vergl. S. 19. 159; Bd. XI, 342. 382.

392-2 Rexin ist indess erst im Frühjahr 1755 nach Constantinopel gekommen. Vergl. Bd. XI, 257.

392-3 Vergl. Bd. XI, 257. 393.

392-4 Vergl. Bd. XI, 488.

393-1 Vergl. S. 352.