7795. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Klinggräffen berichtet, Wien 27. Juli: „Sire. Comme c'est l'usage qu'avant qu'un ministre étranger puisse obtenir une audience de l'Impératrice, il s'adresse d'abord au comte de Kaunitz, afin qu'il la prévienne là-dessus; ensuite il faut qu'on s'adresse au grand-chambellan,163-2 pour apprendre le jour et l'heure que Sa Majesté a déterminés pour l'audience, ce qui prend trois jours: ayant donc passé par ces formalités, j'eus hier à Schönbrunn mon audience. J'exécutai dans les termes les plus convenables et les plus décents les ordres de Votre Majesté, mot pour mot, tels qu'Elle me les a prescrits. L'Impératrice répondit que cette affaire était si délicate qu'elle avait jugé, afin d'agir sûrement, de coucher sa réponse par écrit, et qu'elle allait me la lire elle-même. Elle tint pour cela un petit papier dans sa main et la lut. Elle porte mot pour mot: « Que, les affaires générales étant en crise, elle avait jugé à propos de prendre des mesures pour sa propre sûreté et celle de ses alliés, et qui ne tendaient au préjudice de personne, » me priant de faire parvenir cette réponse à Votre Majesté: ce que je ne manque pas de faire par ce courrier. J'ai l'honneur etc.“

[Potsdam, 2 août 1756.J 163-3

Immédiatement163-4 après la réception de cette lettre, vous demanderez audience de l'Impératrice-Reine. Vous lui direz que je suis fâché de<164> l'importuner encore, mais que c'est indispensable dans la situation présente des affaires dont l'importance exige des explications plus claires que celles qu'elle vient de me donner. Ni les États de l'Impératrice, ni ceux de ses alliés ne sont menacés d'aucune attaque, mais bien les miens. Il faut que l'Impératrice sache, pour ne lui rien dissimuler, que je suis informé, d'une manière à n'en pas douter, qu'elle a fait au commencement de cette année une alliance offensive avec la cour de Russie contre moi. Il y est stipulé que les deux impératrices m'attaqueront inopinément, celle de Russie avec 120,000 hommes et l'Impératrice-Reine avec une armée de 80,000 combattants. Ce projet, qui devait se mettre en exécution dès le mois de mai de cette année, a été différé, à cause que les troupes russes ont manqué de recrues, leurs flottes de matelots et la Finlande de blés pour les nourrir. Les deux<165> cours sont convenues de ne remettre les choses que jusqu'au printemps qui vient,165-1 et comme il me revient à présent de toute part que l'Impératrice rassemble ses forces principales en Bohême et Moravie, que les troupes campent à peu de distance de mes frontières, qu'on fait des magasins et amas considérables de munitions de guerre et de bouche, que l'on tire des cordons de hussards et de croates le long de mes frontières,165-2 comme si nous étions en pleine guerre, je me crois en droit d'exiger de l'Impératrice une déclaration formelle et catégorique, consistant dans une assurance verbale ou par écrit, qu'elle n'a aucune intention de m'attaquer, ni cette année-ci, ni l'année qui vient; soit que cette déclaration se fasse par écrit, ou verbalement en présence des ministres de France et d'Angleterre, cela m'est égal et dépend du bon plaisir de l'Impératrice …: il faut savoir si nous sommes en guerre ou en paix, j'en rends l'Impératrice arbitre. Si ses intentions sont pures, voici le moment de les mettre au jour; mais si on me donne une réponse en style d'oracle, incertaine ou non concluante, l'Impératrice aura à se reprocher toutes les suites qu'attirera la façon tacite dont elle me confirmera par là les projets dangereux qu'elle a formés avec la Russie contre moi, et j'atteste le Ciel que je suis innocent des malheurs qui s'ensuivront.

Federic.

En chiffre.

Dès que l'audience sera finie, vous dépêcherez incessamment le courrier avec la réponse, vous en donnerez copie au ministre d'Angleterre, et comme vous serez en état de juger quelle tournure cette affaire prendra, je dois vous avertir que, si on ne me parle pas plus clair que cette fois-ci, je n'ai de ressource que dans la guerre, et vous recevrez ordre de vous retirer, sans prendre congé. Cela pourra se faire le 23 ou le 24 de ce mois. Je dois vous prévenir sur ce que le maréchal Schwerin sera à Neisse;165-3 vous l'avertirez par le même courrier que vous m'enverrez, si c'est paix ou guerre, afin qu'il prenne là bas les mesures convenables. La grande affaire est de m'avertir promptement. Il faut donc nécessairement que j'aie le 15 de ce mois un courrier; quand même ce ne serait pas la réponse, il pourra toutefois me mettre au fait de ce que vous conjecturez là-dessus.

Fr.

Nach dem eigenhändigen Concept; mit der Weisung „Dépêche au sieur Klînggræffen“ .



163-2 Graf Khevenhüller.

163-3 Das Datum nach einer Abschrift der Cabinetskanziei.

163-4 Dem Erlass liegt der folgende gleichfalls eigenhändige Entwurf zu Grunde:
     „Depeche au sieur Klinggræffen. Après la réception de cette lettre, vous demanderez encore une audience particulière de la Reine, et vous lui direz que, puisqu'elle veut que j'aie fait faire les premiers mouvements à mes troupes, que je ne veux point chicaner sur ce point, quoique j'aurais assez de raisons pour lui prouver le contraire; que, dans la situation présente, il s'agissait de faits plus graves et plus importants; que je parlerais à la Reine avec toute la franchise possible, exigeant la même chose de sa part. Dites-lui donc que, si nous avons armé les premiers, cela s'est fait par les raisons suivantes: J'ai des nouvelles très sûres que l'Impératrice a passé une convention avec celle de Russie que l'on peut à bon droit appeler une alliance offensive, par laquelle ces deux princesses s'engagent d'attaquer les Prussiens inopinément de deux côtés. L'Impératrice-Reine promet d'employer de son côté 80,000 hommes de ses troupes, celle de Russie s'engage de commencer cette entreprise avec 120,000 hommes. Ce projet a dû s'exécuter au mois de juillet. Vous ferez remarquer à l'Impératrice-Reine qu'alors on avait répandu par toute l'Allemagne le bruit d'une armée de 70,000 hommes qu'elle voulait assembler en Bohême sous le nom d'un corps d'observation; que la raison pour laquelle ce projet a été suspendu, est que les Russes n'ont pas eu toutes les recrues qui leur manquaient; qu'ils n'ont pas pu trouver non plus un nombre suffisant de matelots, et qu'enfin la mauvaise récolte que les Livoniens ont eue l'année passée, a empêché l'armée russe de trouver les vivres et de former les magasins dont ils avaient besoin pour la sustentation d'une si grosse armée. Vous lui ferez remarquer que les mouvements des Russes ont occasionné les miens, et que je ne vois que de l'affectation dans l'ombrage que son ministère semble prendre d'un simple mouvement de quelques régiments qui se sont rendus en Poméranie. Voilà l'état actuel des choses. Si à présent l'Impératrice-Reine veut que les affaires rentrent dans un ordre naturel, si réellement elle a tant d'inclination à la paix, elle en peut donner des marques non douteuses …: pour moi, je supprime bien d'autres griefs que j'ai contre elle, je veux bien sacrifier mes intérêts particuliers au repos commun; mais j'exige d'elle une déclaration formelle et authentique qu'elle ne m'attaquera pas cette armée-ci, ni l'année qui vient. Si elle vous la donne par écrit ou verbalement en présence des ministres de France et d'Angleterre, je me reposerai sur sa parole, et les choses rentreront dans leur ordre naturel. Je serai même obligé de croire que les desseins qu'on lui attribue, et les projets formés avec la Russie, sont des faits controuvés. Vous lui direz que je la rends l'arbitre de cette affaire, et que de la réponse qu'elle vous donnera, dépendra le repos ou le trouble de l'Allemagne. Je ne me contente pas d'une réponse équivoque, il faut qu'elle soit nette et catégorique.
     En chiffres …: Dès que vous serez sorti de l'audience, vous me dépêcherez un courrier avec la réponse. Si on ne vous en donne point, vous communiquerez ce qu'il y a ci-dessus, aux ministres d'Angleterre et de France. Et comme vous serez bientôt en état de juger quelle tournure cette affaire prendra, je dois vous avertir d'avance que, si on ne me parle pas net, la guerre se fera et que vous recevrez l'ordre de partir le 23, sans prendre congé, de Vienne. Quelle que soit donc l'issue de votre audience, dépêchez toujours le courrier, pour que je sache ce qui s'y sera passé. Le 14, si on ne vous donne pas de réponse catégorique, vous direz à la Reine ou au comte Kaunitz que, si on ne me donnait pas de réponse, vous prendriez !e Ciel à témoin de l'injustice que l'on me faisait, et que, si on me poussait à bout, je ferais ce que la Reine ferait elle-même, si elle était dans ma place. Je dois vous avertir, de plus, que le maréchal de Schwerin est à Neisse, et que vous devez l'informer par le courrier, tout comme moi, de ce qui s'est passé, et de ce que vous croyez prévoir des suites de votre négociation.“
     Der Cabinetssecretär bemerkt in dorso dieses Entwurfes: „Diese Dépêche ist nicht dergestalt, wie sie gefasset, abgegangen, sondern noch etwas modificiret und geändert worden.“

165-1 Vergl. S. 114. 115. 122. 151.

165-2 Vergl. S. 81. 110. 111. 113. 161.

165-3 Vergl. Nr. 7796.