8082. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.
Knyphausen berichtet, Paris 10. September: „Je ne saurais trouver des expressions assez fortes pour représenter à Votre Majesté l'impression qu'a causée à la cour de France l'entrée des troupes prussiennes dans l'électorat de Saxe, et les incidents dont on prétend que cet évènement a été accompagné. Madame la Dauphine, qui a été informée de cette démarche par un courrier que le Roi son père lui a dépêché, … prétend que les troupes prussiennes sont non seulement entrées de force dans l'électorat de Saxe et se sont emparées de la ville de Leipzig, mais qu'elles ont aussi mis la main sur les caisses de l'Électorat, et qu'en vertu d'un placard publié il a été ordonné qu'on ne ferait plus désormais aucun payement au roi de Pologne et que tous les deniers publics seraient séquestrés provisionnellement et jusqu'à nouvel ordre. Le tableau que Leurs Majestés Polonaises ont fait à cette Princesse de la triste situation dans laquelle cet évènement les a constituées, a tellement ému sa compassion qu'on assure qu'elle est allée se jeter aux pieds du Roi, pour implorer sa protection et le supplier de vouloir bien ne pas abandonner ses parents dans des conjonctures aussi affligeantes. Il m'est revenu que Sa Majesté Très Chrétienne avait été vivement touchée du récit dont je viens de faire mention, et qu'Elle avait promis à Madame la Dauphine de ne rien négliger de ce qui pourrait dépendre d'Elle, pour tarir le sujet de ses larmes et venger Sa Majesté Polonaise de l'insulte qu'elle avait reçue … Madame la Dauphine … a prié M. Rouillé d'empêcher que je ne me présentasse devant elle mardi dernier,424-1 jour consacré à cette cour-ci aux audiences des ambassadeurs, afin de ne point irriter sa douleur et ne lui en retracer le motif. Cette demande a produit un effet si prompt que M. Rouillé m'a non seulement fait avertir la veille par des personnes de sa connaissance et de la mienne qu'il serait à propos que je ne me montrasse point chez Madame la Dauphine, mais que le mardi même, immédiatement après mon arrivée, il m'a réitéré le même compliment, quoiqu'en termes extrêmement modérés et polis … La réception que m'a faite ce ministre à mon arrivée à Versailles, m'a confirmé en outre dans les différentes conjectures que les événements dont j'ai fait mention ci-dessus avaient déjà excitées en moi.“
Knyphausen zählt die Gründe auf, welche er, den Königlichen Weisungen424-2 gemäss, Rouillé entgegen gehalten hat, und fährt fort: „Je croirais trahir mon devoir, si je laissais ignorer à Votre Majesté que j'ai trouvé en ce ministre les symptômes les plus marqués de la plus grande partialité contre Sa conduite, et qu'il m'a répété à plusieurs reprises, quoiqu'avec douceur et sans s'écarter des bornes de la bienséance, que, depuis la guerre présente, le droit des gens paraissait être entièrement anéanti en Europe et que les Princes ne semblaient prendre conseil que de leur convenance et de leurs passions … Je dois … mettre également sous les yeux de Votre Majesté deux traits remarquables qui, soit à dessein soit par hasard et dans la chaleur de la conversation, sont échappés au sieur Rouillé, dans l'entretien que j'ai eu avec lui. Le premier est que ce ministre m'a insinué qu'il lui semblait qu'il n'y avait plus maintenant aucun objet de négociation entre sa cour et celle de Berlin et qu'il pourrait bien arriver qu'on prît ici la résolution de rappeler le marquis de Valory. Le second est qu'en me représentant combien la France était fâchée de la démarche à laquelle Votre Majesté S'était portée, il m'a réitéré plusieurs fois: « Le but que nous avions en faisant le traité de Versailles, était certainement de borner notre vengeance à la Grande-Bretagne et d'éviter que la guerre ne se communiquât au Continent; mais nous voilà forcés à la faire sur terre, par l'obligation dans laquelle nous sommes de remplir les engagements qui subsistent entre nous et la cour de Vienne. » A quoi il ajouta: »Voilà le roi de Prusse devenu l'allié intime de la seule puissance avec laquelle nous soyons en guerre, et ennemi du principal allié<425> que nous ayons. La cour de Vienne ne nous a pas encore requis de lui prêter les secours stipulés par le traité de Versailles; mais il est certain qu'aussitôt qu'elle en fera la demande, nous accomplirons religieusement tout ce qui est stipulé à cet égard … Ayant ensuite tâché de lui prouver que le silence que l'Impéretrice-Reine avait gardé sur le point principal du mémoire du sieur de Klinggræffen,425-1 que cela n'avait pas pu manquer de fortifier les soupçons de Votre Majesté et de redoubler Son inquiétude, il me répliqua qu'après qu'on en était venu aux voies de fait, il était inutile qu'on s'étendît sur la question de droit et qu'il se bornerait seulement à me répéter encore et à m'affirmer de la façon la plus solennelle que toutes les conjectures que renfermaient les mémoires du sieur de Klinggrræffen touchant un prétendu concert pris entre les cours de Vienne et de Pétersbourg, étaient destituées de tout fondement … Si les ouvertures qu'il m'a faites en cette occasion, portent l'empreinte de la partialité la plus outrée en faveur de la maison d'Autriche, les autres ministres de France se sont expliqués envers différentes personnes de ma connaissance avec beaucoup plus d'emportement et de vivacité encore, et même en termes peu mesurés. Les uns ont dit ouvertement que l'esprit anglais paraissait avoir passé à Berlin; qu'on y avait le même mépris qu'à Londres pour tout ce que le droit des gens avait de plus sacré; qu'en un mot, Votre Majesté pratiquait les mêmes violences sur le Continent que l'Angleterre avait exercées sur mer. D'autres se sont avancés jusqu'à dire que les soupçons que Votre Majesté affectait d'avoir, n'étaient que simulés et qu'ils Lui servaient seulement de prétexte; que c'était l'Angleterre qui L'avait poussée à la démarche qu'Elle venait de faire, après L'avoir amorcée par des subsides considérables. Enfin, tous se sont réunis pour affirmer que, s'il était vraisemblable que Votre Majesté aurait de grands succès dans le commencement, la guerre qu'Elle venait de commencer, ne saurait pas manquer de tourner, à la fin, à Sa ruine. En attendant, il esr certain que ce succès a principalement excité cette fermentation, et l'aigreur qui règne à Versailles contre Votre Majesté, est non seulement causée par Son invasion en Saxe, mais par les procédés dont le roi de Pologne se plaint que cet évènement a été accompagné, et qui ont jeté Madame la Dauphine dans le plus grand désespoir; car, sans cet accessoire, le parti qu'a pris Votre Majesté, aurait certainement fait des impressions plus lentes et moins vives … Quoiqu'en vertu du 7e article du traité de Versailles, il soit libre à la partie requérante de demander, au lieu du secours effectif en hommes, l'équivalent en argent, on prétend savoir positivement ici que l'Impératrice-Reine insistera sur la prestation du corps auxiliaire. On a donc non seulement donné ordre à un grand nombre de régiments en Normandie de se tenir prêts à marcher au premier ordre, mais l'on assure aussi que le Roi a dit que l'Impératrice n'avait qu'à demander le nombre de troupes qu'il lui fallait, et qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour l'assister de la manière la plus efficace … L'on se propose aussi d'entamer à cette occasion plusieurs nouvelles négociations auprès de différentes cours dans l'Empire … Il est certain que les cours de France et de Vienne se flattent de pouvoir se former un parti considérable dans l'Empire, et il est même échappé au sieur Rouillé, dans la chaleur de la conversation et en me parlant, que l'Empire n'approuverait certainement pas les violences commises par Votre Majesté et l'infraction qu'Elle venait de faire à la paix. Au reste, plusieurs nouveaux indices me confirment encore dans le soupçon que j'ai formé dans ma précédente et très humble lettre immédiate, qu'on pourrait bien profiter des conjonctures présentes pour faire une diversion dans le pays d'Hanovre … Je viens d'apprendre en ce moment, en voulant finir ma dépêche, que la liste des régiments destinés pour former le corps des troupes auxiliaires stipulé par le traité de Versailles, est déjà faite, qu'on va leur envoyer à tous les ordres de marcher et qu'ils doivent se rendre à Metz, qu'on a choisi pour le lieu de l'assemblée.“
<426>Sedlitz, 20 septembre 1756.
Je me suis représenté d'abord, et je crois vous en avoir prévenu,426-1 qu'on jetterait de hauts cris en France et que la Dauphine surtout remuerait contre moi, dès qu'on y apprendrait la démarche que j'ai faite contre la Saxe, à laquelle cependant je me suis vu nécessité, indispensablement obligé, à moins que de vouloir m'exposer à des étranges suites. Je n'ai point été surpris de ce que vous m'avez marqué à ce sujet par la dépêche que j'ai reçue de votre part du 10 de ce mois, au sujet de laquelle je vous dirai que vous saurez bien vous dispenser dans la situation présente où je me trouve vis-à-vis du roi de Pologne, de faire votre cour à Madame la Dauphine, pour ne pas augmenter son humeur, quoique, dans tout le reste, vous ne manquerez en rien aux égards qui lui sont dus.
D'ailleurs, je ne désespère pas que, quand la première vivacité des ministres de France sera passée et qu'ils commenceront à se calmer, ils regarderont les choses peut-être d'un œil tout différent qu'ils ne les envisagent dans leur premier emportement; au moins tâcherezvous de les radoucir au possible, pour qu'ils ne prennent pas des résolutions précipitées. Au surplus, mon idée est, ce que vous direz même à qui le voudra entendre, mais surtout à des gens désintéressés, que, n'étant ni en guerre ni en autre différend avec la France, je ne vois aucune bonne raison pourquoi je devrais retirer mon ministre. Du reste, il faut que, dans ces premiers moments de vivacité, vous preniez patience, que vous caliez vos voiles et que vous fassiez entendre avec douceur au sieur Rouillé que, quelque resolution qu'ils voudraient prendre, vous le priiez de n'en prendre pas des précipitées. Vous connaissez assez par l'expérience du passé la fougue française, qui à présent doit être d'autant plus vive qu'elle est animée par les ministres de deux cours étrangères, mais vous savez aussi que, dans quelque intervalle du temps, cela se passe et que la modération leur revient. En attendant, vous éviterez soigneusement tout ce qui saurait fournir des occasions à votre rappel. Mais, supposé que les choses parvinssent à un point que vous ne sauriez plus empêcher votre rappel et qu'on n'en voudrait plus de vous, sur ce cas-là il faut que vous vous procuriez quelque bon sujet, entendu et délié, à qui je donnerais une pension, qui, en guise d'émissaire, se tînt à la cour de France, pour faire des insinuations de ma part, sinon directement aux ministres, au moins indirectement et par main tierce, afin que nous ne perdions pas toute connexion ni correspondance avec cette cour-là; article que je vous recommande bien, afin que vous vous prépariez d'abord un tel sujet, pour en avoir d'abord si le cas le demande.
Au reste, j'ai été extrêmement satisfait de votre relation, de ce que vous ne m'avez rien dissimulé et que m'y avez tout marqué jusqu'aux<427> petits détails, car quelques bagatelles qu'ils paraissent être, ils ont tous leurs influences et me servent beaucoup à me diriger, de sorte que je serai bien aise que vous continuiez de la sorte.
Federic.
Nach dem Concept.
424-1 17. September.
424-2 Vergl. Nr. 792S. 7936.
425-1 Vergl. S. 27S.
426-1 Vergl. Nr. 7928 S. 294.