8317. AU MINISTRE DE LA GRANDE-BRETAGNE MITCHELL A DRESDE.
[Sedlitz], 10 [novembre 1756].
Je suis très fâché, mon cher Monsieur Mitchell, d'apprendre la division qui s'est mise dans votre gouvernement d'Angleterre.32-1 Mon Dieu, il me semble que dans le moment présent tout homme bien intentionné pour les intérêts de sa nation et pour ceux de l'Europe devrait quitter tout intérêt personnel, pour ne songer qu'à un intérêt devant lequel tous les autres devraient se taire, celui du soutien de la cause protestante et de la liberté de l'Europe.
J'avoue que je n'ai appris qu'avec la plus vive douleur la mésintelligence de votre gouvernement. Se peut-il que tant de gens, qui cependant pensent bien pour l'intérêt de leur patrie, veuillent donner gain de cause aux ennemis éternels de leur gouvernement par des divisions intestines? Comment le roi d'Angleterre et la nation pourrontils prendre de bonnes mesures vis-à-vis de leurs ennemis, s'il se trouve chez la nation même des personnes qui, quoique ennemis des Français, leur rendent les plus grands services en empêchant l'État de prendre à temps des mesures contre les entreprises de nos ennemis communs? Pour Dieu, que l'amour de la patrie se réveille chez vos concitoyens et que l'on envisage les objets en grand, et non pas par le microscope du bien personnel!
Pour moi, je ne pense dans le moment présent qu'à l'Europe et je n'ai vis-à-vis de moi que le duumvirat dangereux aux libertés de l'Angleterre, comme à celles de l'Allemagne, surtout à la cause protestante. Je vois que l'hiver approche, et, en même temps, ce moment de trêve que l'intempérie de l'air met à la fureur des hommes. Je crois qu'on ne doit pas laisser échapper ce moment précieux pour prendre de tous côtés les mesures convenables sur terre et sur mer pour résister aux puissants efforts que feront les maisons d'Autriche et de Bourbon contre nous.
J'ai bien des choses à vous proposer que je suspends, avant de voir que votre orage intérieur se soit calmé. Je suis peut-être comme l'abbé de Saint-Pierre qui rêvait pour le bonheur de l'Europe; mais je ne sais à qui proposer mes rêves.32-2 C'est au préalable de voir le calme rétabli à Londres, et je pense que les honnêtes gens y travailleront. Qu'on se dispute sur des avantages personnels, quand on n'a rien de mieux à faire, à la bonne heure; mais à présent, mon cher Monsieur Mitchell, où il s'agit de savoir si l'on conservera la liberté de disputer pour des charges, il me semble que tous les partis se doivent réunir contre l'ennemi commun, qu'il faut étendre ses vues et laisser des discussions de misères à des temps plus commodes et plus oiseux pour de pareils débats.
<33>Je vous parle en citoyen d'Europe qui a fort à cœur le bien de ses alliés et l'indépendance de sa patrie, qui hait la tyrannie, de quelque côté qu'elle vienne, et qui ne veut que le bien de l'Europe. Je souhaiterais que tous vos compatriotes fussent aussi sensés que vous, et qu'ils fussent aussi bons citoyens, et nous viendrions ensemble à bout de toutes les conspirations que les esprits ambitieux pourraient former contre la tranquillité de l'Europe. Adieu, mon cher Monsieur.
Fr.
Nach der Ausfertigung im British Museum zu London. Eigenhändig.
32-1 Vergl. S. 30.
32-2 Die Anspielung bezieht sich auf den Club de l'Entre-sol, in welchem der Abbé Saint-Pierre seine philanthropischen Denkschriften vorlegte.