<258> lâchement Gabel qui vous donnait la connexion avec Zittau, votre magasin! Vous ne serez jamais qu'un pitoyable général. Commandez à un sérail de filles d'honneur,1 à la bonne heure; mais, tant que je vivrai, je ne vous confierai pas le commandement sur dix hommes. Quand je serai mort, faites toutes les sottises que vous voudrez : elles seront sur votre compte, mais tant que je vivrai, vous n'en ferez point qui préjudicient à l'État. Voilà tout ce que je peux vous dire; que vos meilleurs officiers redressent à présent les c . . . que vous avez faites, et consultez vos forces, avant que de demander des commandements. Ce que je vous dis, est dur, mais vrai; vous m'y forcez, vous me mettez sur le point de perdre la réputation de l'armée, la mienne et l'État.
Federic.
Nach dem Concept. Eigenhändig.
9215. AU MARQUIS D'ARGENS A BERLIN.
[Leitmeritz,] 19 juillet 1757.
Mon cher Marquis. Regardez-moi comme une muraille battue en brèche par l'infortune depuis deux ans. Je suis ébranlé de tous côtés. Malheurs domestiques, afflictions secrètes, malheurs publics, calamités qui s'apprêtent : voilà ma nourriture. Cependant, ne pensez pas que je mollisse. Dussent tous les éléments périr, je me verrai ensevelir sous leurs débris avec le sang-froid dont je vous écris.2 Il faut se munir, dans ces temps désastreux, d'entrailles de fer et d'un cœur d'airain, pour perdre toute sensibilité. Voilà l'époque du stoïcisme. Les pauvres disciples d'Épicure ne trouveraient pas, à cette heure, à débiter une phrase de leur philosophie.
Le mois prochain va devenir épouvantable et fournira des évènements bien décisifs pour mon pauvre pays. Pour moi, qui compte le sauver ou périr avec lui, je me suis fait une façon de penser convenable aux temps et aux circonstances. Nous ne pouvons comparer notre situation qu'au temps de Marius, de Sylla, du triumvirat et à ce que les guerres civiles ont fourni de plus furieux et de plus acharné. Vous êtes trop éloigné d'ici, pour vous faire une idée de la crise où nous sommes, et des horreurs qui nous environnent. Pensez, je vous prie, aux pertes des personnes qui m'étaient les plus chères, que je viens de faire tout de suite, et aux malheurs que je prévois qui s'avancent vers moi à grands pas. Enfin, que me reste-t-il pour me trouver dans la situation du pauvre Job? Ma santé, d'ailleurs faible, résiste, je ne sais comment, contre tous ces assauts, et je suis étonné de me soutenir dans des situations que je n'aurais pu envisager, il y a trois ans, sans frémir.
1 Vergl. Henckel (l. c. oben S. 240) S. 262. 263.
2 Horaz. Oden III, 3, v. 7—8.