11403. AU PRINCE FERDINAND DE PRUSSE A STETTIN.
Waldow, 5 septembre 1759.
Mon cher Frère. Je ne suis qu'un homme; vous vous intéressez à ma conservation par amitié, mais, mon cher frère, l'État à subsisté avant moi et se soutiendra après ma mort, s'il plaît à Dieu. Vous devez bien juger que, né sensible comme je le suis, j'ai souffert le martyre pendant trois semaines. Notre situation est moins désespérée qu'elle ne l'était, il y a huit jours, mais je me vois entouré d'écueils et d'abîmes, ma tâche est très difficile, et à moins de quelque miracle ou de la divine ânerie de mes ennemis, il sera impossible de bien finir la campagne.
Mes compliments à tous nos blessés.516-1 Dites, s'il vous plaît, à Seydlitz que je souffre plus que lui; mon esprit est plus malade que sa main, ma situation est sans cesse violente : il n'y a plus d'honneur dans les troupes, le Jean-foutre les a possédées presque toutes, on ne sait à quel Saint se vouer. Malgré tout cela, je fais bonne contenance avec mes coions, mais je n'ose rien entreprendre d'audacieux avec eux.
Je comprends très bien que cette catastrophe n'a pas amélioré votre santé, mais il faut prendre sur soi dans ces occasions; le mal qui nous accable, n'est pas arrivé par votre faute, il ne faut donc pas vous en chagriner. Tout homme, pour peu qu'il vive, essuie des malheurs et voit quelquefois au travers de ces nuages des rayons de bonne fortune; il faut supporter l'une et l'autre, le bon temps comme le mauvais passent, et à la fin notre terme nous conduit au tombeau. La vie est trop courte pour de longues afflictions.
Voilà de la belle morale, et que je la pratiquer Hélas, non: les premiers moments de la douleur sont trop violents, l'homme est plus sensible que raisonnable. Soyez plus raisonnable que sensible, et rendez justice à l'amitié et à la tendresse avec laquelle je suis tout à vous.
Federic.
Nach der Ausfertigung im Königl. Hausarchiv zu Berlin. Eigenhändig.
516-1 Vergl. S 492. 500. 506.