11557. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE FINCKENSTEIN A MAGDEBURG.
Kœben, 30 octobre 1759.
Secret! Voici mes réflexions sur la situation présente des affaires en Europe que vous ferez transposer dans le chiffre de Knyphausen, pour les envoyer,611-2 incontinent après, à ce ministre :
Après les éclatants succès que les Anglais ont eus en Amérique, sur mer et en Allemagne, la France se trouve abîmée sous la puissance de l'Angleterre et obligée, par conséquent, à recevoir les conditions de la paix qu'il plaira à l'Angleterre de lui imposer. Cela est si manifeste que la dernière démarche des Français, en égard aux propositions dont M. de Choiseul a chargé M. de Bernstorff,611-3 en [fait] foi. La Russie, d'un autre côté, alarmée des résolutions que la France pourrait prendre, craignant d'un côté la perte des subsides et de l'autre de ne jouer aucun rôle à la pacification générale, marque quelque empressement pour acheminer son accommodement. Avec la disposition de ces deux cours et l'Angleterre dans la situation brillante où une puissance puisse se trouver en Europe, il ne s'agit que d'un peu d'art, de manège et d'adresse dans la négociation, pour en tirer le plus grand avantage.
J'entre avec vous dans le détail des intérêts de l'Angleterre et des miens, pour qu'après vous avoir détaillé toutes mes idées, vous puissiez<612> me marquer jusqu'à quel point vous jugez qu'elles se puissent réaliser. L'Angleterre étant maîtresse du Canada, de la Guadeloupe et peut-être, même avant le printemps, de la Martinique qui doit tomber d'elle-même, les succès dans les Indes Orientales qui ont procuré dans cette partie du monde des avantages sur les Français dont nous ne savons encore toutes les suites et qui doivent être considérables : tout ceci, ce me semble, peut dispenser l'Angleterre de la déclaration dont nous étions convenus,612-1 puisque ses ennemis sont obligés de lui demander ce qu'elle allait leur offrir. Il ne s'agit donc ici que des conditions de la paix. L'Angleterre fera certainement des acquisitions très avantageuses, soit en gardant le Canada, en entier ou bien en partie, soit en conservant quelqu'une de ses conquêtes et en restituant le reste.
Mais examinons ici l'avantage qui pourra résulter pour les Anglais et pour nous en Europe. Le premier, ce me semble, vu le sacrifice total que la France fait de ses alliés, doit être que l'Angleterre doit prendre cet ascendant en Allemagne dont la France a été si longtemps en possession, ce qui ne saurait qu'être avantageux pour nous, puisqu'en même temps il écarte l'influence que la Russie pourrait prendre, et que l'Angleterre et la Prusse seront suffisantes pour contrebalancer l'Autriche.
Je pense, d'ailleurs, que ce serait un temps favorable aux pays de Hanovre et de Brandebourg pour faire des acquisitions aux dépens des Ecclésiastiques. Qui est-ce qui s'opposera à la sécularisation des évêchés de Münsteret d'Osnabrück en faveur de Hanovre? qui s'opposera à celle de Hildesheim, en faveur de la Prusse à la mort de l'évêque? et puis, n'y aurait-t-il point de troc à faire du duché de Clèves, de la Gueldre prussienne et de la principauté de Mœurs contre le Mecklembourg? Ne pourrait-on pas également donner Nordhausen à la Prusse, Duderstadt et Erfurt à la Saxe en faveur de la cession de la Basse-Lusace et de quelques parcelles enclavées dans les États de la Prusse? ou n'y aurait-il pas à stipuler la cession de la Prusse polonaise après la mort du roi de Pologne, la ville de Danzig restant libre sous la domination de la Prusse, en sécularisant en même temps l'évêché de Varmie ?
Je suis bien éloigné de penser que tout cela serait faisable, mais ce ne sont que des points sur lesquels il ne sera pas mal de pressentir les sentiments des ministres anglais et des puissances qui voudront faire la paix, et je crois que, pourvu que l'on veuille stipuler quelques avantages réciproques, soit pour les Russes ou bien en faveur du roi de Pologne, que tout ceci pourra s'arranger. Ajoutez à cela que la vénalité du ministère russien peut faire prospérer une somme d'argent bien employée, qui terminerait toute cette négociation, et que, dès que nous aurons la France et la Russie, la cour de Vienne sera bien obligée à en passer par où nous voudrons.
Ceci n'est qu'un canevas grossier qui demande d'être travaillé, et dont le secret doit être gardé; mais dès que nous ouvrons la porte à<613> l'ambition des autres, il est à croire que nous y trouverons notre compte. Je sais, d'ailleurs, que les Russes ont envie d'avoir un bout de la Pologne, dont ils disent avoir besoin pour se défendre contre les Turcs. Ce serait une cession à laquelle on pourrait consentir, et par là nous mettrions ces barbares dans nos intérêts.
La guerre que la Suède me fait m'étant propre et particulière, je crois devoir entrer dans une courte explication sur la façon dont la paix pourrait se rétablir entre nous. Je n'exige rien de ces misérables, sinon que le Sénat se rende encore auprès de la Reine ma sœur, pour la prier de leur procurer la paix, et que, sur nos réponses et sur la conclusion de la paix, ils retournent encore auprès d'elle pour lui en faire des remercîments.
Voilà où se bornent toutes mes vengeances. Je sens que ce que je vous ai écrit, est sujet à des longues discussions. C'est à vous à digérer et à préparer la matière, à faire des essais vous-même, ou bien à faire proposer quelques-uns de ces projets par des tierces personnes, pour voir comment ils seront reçus et jusqu'à quel point on peut les pousser; vous pourrez du moins dans quelques semaines d'ici me faire des réponses générales de ce que vous croyez faisable des choses, des choses que vous croyez impossibles.
Federic.613-1
Nach einer Abschrift der Ausfertigung.
611-2 Geschieht ebenfalls am 4. November.
611-3 Vergl. Nr. 11556.
612-1 Vergl. Nr. 11532.
613-1 Durch ein Schreiben vom 30. sucht der König den erkrankten Prinzen Ferdinand von Preussen (vergl. S. 577) zu trösten. Er fügt eigenhändig hinzu: „Vous guérirez tout-à-fait, mon cher frère, mais il vous faudra encore deux ans de patience, avant que vos nerfs trop débilités reprennent toute leur force, et alors vous vous retrouverez aussi robuste que vous l'étiez autrefois; il y a beaucoup de ressources avec la jeunesse. Vous perdez la fin de cette guerre que vous ne sauriez faire; mais, mon cher, vous en verrez bien d'autres, vons deviendrez âgé, et vous direz alors que le vieux frère avait raison. Je vous embrasse de tout mon cœur.“ [Berlin. Königl. Hausarchiv.]