Je passe sur ces anecdotes qui me font entrevoir en attendant que les Anglais n'agissent pas sur ce point avec d'aussi bonne foi que dans le reste de ce qui me1 regarde. Pour vous expliquer cependant naturellement ma pensée là-dessus, il est sûr que le ministère anglais, quand il agit équivoquement et avec des intentions moins pures qu'ailleurs làdessus, ne pense pas bien aux conséquences; car, malgré leurs succès par mer et en Amérique, il ne faut pas se figurer qu'il est à badiner avec les affaires de terre. Car, si une fois nos ennemis auront réussi à m'écraser par une supériorité des forces trop décidée et accablante, il faudra compter que toutes les forces unies de nos ennemis tomberont sur le prince Ferdinand de Brunswick qui en sera accablé de tous côtés; que toutes les possessions du roi d'Angleterre seront envahies à la fois, et que l'animosité de la cour de Vienne remuera tout pour mettre l'Angleterre dans la dernière détresse, en dût-on forcer même alors la république de Hollande de se déclarer contre l'Angleterre. Enfin, il faut ignorer les maximes et les vastes desseins de la cour de Vienne, pour ne pas être sûr que, si elle continue à entraîner par ses illusions les cours de Versailles et de Pétersbourg jusqu'à se rendre maîtresse despotique de tout l'Empire, il sera fait du lustre de l'Angleterre et de son commerce, qu'on aura ruiné par les faux ménagements aux moyens desquels on l'avait cru conserver, de sorte que toujours le contre-coup de mes malheurs retombera sur l'Angleterre, qui tout au plus n'aura que le bénéfice de Polyphème. Je passe sous silence les suites qui en résulteraient, si, après ma perte totale, la Russie, comme il paraît assez qu'elle a conçu le dessein, s'emparera2 de ma Prusse avec la Prusse polonaise, la ville de Danzig et jusqu'à Colberg, par où elle serait maîtresse de tout le commerce de la Baltique et tiendrait comme provinces dépendantes d'elle la Pologne, la Suède et même le Danemark.
Au reste, comme il paraît, par tous les arrangements que la Russie prend, qu'elle veut porter ses efforts contre Colberg et peut-être encore pour s'emparer de Stettin,3 vous devez faire une nouvelle tentative auprès des ministres anglais s'il n'y a pas moyen de les disposer à envoyer une flotte dans la Baltique pour faire échouer le susdit dessein, ou s'ils craignent encore tout ce qui saurait les brouiller avec les Russes. Je me souviens de ce que vous m'avez marqué, il y a peu de temps, des
1 So nach dem Déchiffré der Ausfertigung.
2 In der Vorlage: „s'emparaîtra“ .
3 Vergl. S. 67. Anm. 1.