<167> ce qui cependant ne saurait se faire, sans m'affaiblir de ce côté-ci et de prêter le flanc à l'ennemi du côté de la Saxe.
C'est pourquoi Votre Altesse m'obligera grandement en me disant ce que, le cas supposé arrivant, je saurais me promettre de votre part.
Federic.
Nach der Ausfertigung im Kriegsarchiv des Königl. Grossen Generalslabs zu Berlin.
11906. A LA DUCHESSE RÉGNANTE DE SAXE-GOTHA A GOTHA.
Freiberg, 12 [mars 1760].
La lettre de Votre Altesse m'est parvenue en toute sûreté, et je crois qu'actuellement Elle doit tenir ma réponse.1 Je suis confus de celle que je viens de recevoir,2 quelque envie que j'aie d'être digne de la bonne opinion, Madame, que vous avez de moi, je m'en sens encore bien éloigné; mais c'est un aiguillon de plus qui doit augmenter mes efforts pour mériter votre approbation. J'avoue que la bonté de ma cause ne me rassure pas contre les coups du sort; la plupart des fastes de l'antiquité sont remplis d'histoires d'usurpateurs, on voit partout le crime heureux triompher insolemment de l'innocence. Ce qui renverse les empires, est l'ouvrage d'un moment, et il ne faut quelques fois, pour qu'ils tombent, qu'une tête mal organisée se dérange dans un instant décisif. Je pourrais ajouter à tout ceci qu'en réfléchissant sur les lois primitives du monde, on s'aperçoit qu'un de ses premiers principes est le changement; de là, toutes ces révolutions, ces prospérités, ces infortunes et ces différents jeux du hasard qui ramènent sans cesse des scènes nouvelles. Peut-être que la période fatale à la Prusse est arrivée, peut-être verra-ton une nouvelle monarchie despotique de Césars; je n'en sais rien, tout cela est possible; mais je réponds que l'on [n']en viendra là qu'après avoir répandu des flots de sang, et que certainement je ne serai pas le spectateur des fers de ma patrie et de l'indigne esclavage des Allemands. Voilà, Madame, ma résolution ferme, constante, inviolable. Les intérêts dont il s'agit, sont si grands, si nobles qu'ils animeraient un automate; l'amour de la liberté et la haine de toute tyrannie est si naturelle aux hommes qu'à moins d'être des indignes, ils sacrifient volontiers leur vie pour cette liberté. L'avenir nous est caché par un voile impénétrable, la fortune si changeante déserte souvent d'un parti à l'autre; peut-être m'arrivera-t-il cette campagne autant de bonheur que j'ai éprouvé d'adversités pendant la dernière: la bataille de Denain3 rétablit la France des grandes pertes qu'elle avait faites pendant dix années consécutives d'infortune. Je vois les dangers qui m'environnent; ils ne me découragent pas, et, en me proposant
1 Vergl. Nr. 11900.
2 D. d. Gotha 9. März.
3 Am 24. Juli 1712.