11880. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 1er mars144-1 1760.

J'ai reçu vos dépêches du 12 et du 15 février et présume que vous aurez déjà appris ce qui s'est passé dans le premier entretien que<145> le général-major de Yorke a eu avec le comte d'Affry,145-1 et qu'au moins mes ministres vous en auront instruit,145-2 de sorte que je m'y réfère.

En conséquence de ce que je vous ai marqué dans ma dernière dépêche du 17 février,145-3 que le courrier Balde vous aura rendue, mon émissaire145-4 est actuellement parti de Gotha. Outre la lettre dont il est chargé pour M. de Froullay,145-5 je me suis attaché par rapport à ses instructions aussi scrupuleusement au sens dont les ministres anglais se sont expliqués à vous sur ce sujet,145-6 que je n'ai fait que copier les propres termes de ce qui en était compris dans votre rapport, pour ne donner absolument lieu à quelque équivoque ou malentendu. Au reste, je veux bien vous dire encore pour votre direction qu'en instruisant cet émissaire de Gotha, j'ai pensé même au cas que le bailli de Froullay saurait s'excuser de la commission dont je l'ai chargé, sous prétexte qu'en ministre public de la religion de Malte il ne saurait se charger de cette commission, sans avoir la permission préalable du grand-maître de son ordre. Dans ce cas, mon homme émissaire est instruit de s'adresser tout145-7 directement au duc de Choiseul, envers lequel je l'ai fait munir d'une lettre simplement de créance de mes ministres,145-8 avec les instructions en forme de note que vous verrez ci-clos in extenso.145-9 Il faudra que j'attende après le succès que cette entreprise de ma part aura, dont je vous ferai communication fidèle.

J'ai reçu avant-hier ici une autre lettre du sieur de Voltaire, qui comprend mot à mot ce que vous verrez par la copie ci-close; aussi voilà tout ce que j'ai reçu et dont vous saurez bien faire part à M. Pitt et, selon qu'il trouvera bon, aux autres ministres, en leur lisant les propres termes. Dès que j'en aurai d'autres lettres de Voltaire, je vous en ferai part d'abord.

Je suis bien obligé de la permission que le ministère anglais a bien voulu agréer à ce que je saurais instruire le sieur Keith à Pétersbourg par le canal de M. Mitchell de ce que je jugerai être convenable, afin de ne point perdre de temps. J'ai profité déjà de cette permission des ministres,145-10 au sujet de laquelle vous ne manquerez pas de les remercier de ma part par un compliment bien poli. A la vérité je ne me promets pas grand' chose du succès auprès de cette cour, trop passionnée encore par les instigations des cours de Vienne et de France, pour entendre raison. Contre toute mon attente il vient d'arriver tout nouvellement qu'on m'a fait une ouverture de la part de certaines gens qui veulent se charger de moyenner à la cour de Pétersbourg un prompt accommodement entre elle et moi, quoique à force d'argent, et que je destinasse<146> un million d'écus pour y réussir. Afin que cette lettre ne devienne trop ample, je fais joindre un extrait de celle qui est arrivée à ce sujet à mon frère le prince Henri,146-1 qui vous mettra au fait des personnages qui prétendent s'en mêler. Je n'en connais aucun que le sieur de Bielfeld, et j'ai hésité d'abord si je devais me servir des gens tout-à-fait inconnus de moi de personne et de caractère, et dont d'ailleurs j'ai cru entrevoir plus de bonne volonté que de politique dans les intentions de celui qui veut se charger de la négociation, parcequ'il croit beaucoup opérer par le Grand-Duc, ce qui me paraît être faux et qu'il n'y a que Pierre Schuwalow qui dispose de tout et que, si l'on peut acheter celui[-ci], tout le reste sera entraîné pour nous.

Cependant, en réfléchissant sur ma situation critique et accablante, j'ai cru ne devoir pas négliger aucun moyen qui se présente, pour en être soulagé, et voilà donc les mesures que j'ai prises pour tenter fortune encore de ce côté-là. Je ferai payer les 4000 ducats à l'homme en question, il aura son instruction de mon ministre comte Finckenstein146-2, qui seul est instruit de cette affaire, pour que le secret en soit d'autant mieux gardé; notre homme partira incessamment, et, quoique la somme d'un million d'écus me fasse de la peine dans ma situation présente, je la crois cependant bien employée, si l'homme en question parvient à réussir. Avec cela, je fais avertir M. de Keith en même temps par le sieur Mitchell de tout le projet,146-3 en le faisant requérir de vouloir bien avoir l'œil sur les manœuvres de cet homme-ci, pour que l'argent ne soit lâché qu'à propos et pour le bien des affaires; et, selon moi, il faudra qu'il se développe bientôt ce que l'on doit espérer ou non du succès de cette tentative. Vous en avertirez les ministres anglais pour autant que vous jugerez convenable de ce projet, après vous en avoir concerté préalablement avec M. Pitt, et vous le prierez de vouloir bien me garder un secret bien exact là-dessus.

Au reste, j'ai été très content de tout ce que vos dépêches au dessus accusées comprennent, et en particulier des bonnes intentions que les ministres anglais ont146-4 en toutes occasions, dont je suis très sensiblement touché et que vous, de votre part, tâcherez de cultiver avec soins et attention pour me les conserver.

Pour finir, il faut que je vous marque encore que j'ai presque entièrement formé de nouveau cette troupe que malheureusement le général Finck fit rendre prisonniers de guerre aux Autrichiens et qui y sont encore à présent, par la mauvaise foi qui chicane avec fort mauvaise grâce sur le cartel établi et observé autrefois entre nous, pour avoir lieu seulement de retenir encore la susdite troupe. Au surplus, je fais tous mes efforts possibles pour me mettre en bonne posture, en sorte que, malgré la supériorité en troupes des Autrichiens, je leur<147> disputerais bien le terrain et leur donnerais du fil à retordre, si ce n'était cette énorme multitude des ennemis dont j'ai lieu de craindre d'en être accablé, s'ils resteront de tous côtés au même nombre que l'année passée, sans qu'il en soit détaché l'un147-1 ou l'autre, ou sans que je reçois de quelque part de nouvelles assistances.

Quant au mémoire touchant une levée d'un corps [d']Irlandais catholiques que vous m'avez envoyé, je vous suis obligé de l'attention que vous avez marquée par là pour mon service. Je suis aussi intentionné de faire la levée d'un pareil corps, si la guerre présente continuera, sans quoi, je ne serais pas trop pressé d'en avoir. Mais, si vous trouverez en attendant de jeunes gentilshommes irlandais catholiques que vous trouverez de génie et d'esprit pour en pouvoir former de bons et habiles officiers, vous me ferez plaisir de les engager en mon service et de me les envoyer.

Federic.

Nach dem Concept.

Copie d'une lettre de Voltaire arrivée au Roi le 29 de février.147-2

Il ne tient certainement qu'à Votre Majesté d'accélérer la paix, et j'espère que vous la ferez. Le roi d'Angleterre a un trop grand intérêt à voir votre puissance affermie, pour ne pas sacrifier la Guadeloupe et de la morue147-3 à de si grands objets, et certainement, si on veut s'entendre de part et d'autre et faire de petits sacrifices, la France sera en droit de dire à l'Autriche : nous ne pouvons plus nous épuiser pour un sujet de guerre qui n'existe plus. Nota: „Si la paix n'est pas faite avec l'Angleterre au mois de juin, elle ne se fera plus que par la destruction de trois grands empires ou par celle du roi de Prusse.“ Ces paroles sacrées sont tirées d'une dépêche à moi, chétif employé; je les transcris, je les expose à Votre Majesté. Elle trouvera ces paroles profanes, mais elles sont très vraies, et c'est horrible à imaginer.

Nach dem Déchiffré der an Knyphausen gesandten chiffrirten Abschrift.



144-1 Vom 1. März ein Schreiben an d'Argens in den Œuvres, Bd. 19, S. 129.

145-1 Vergl. Nr. 11856.

145-10 Vergl. Nr. 11844.

145-2 Dies war durch Ministerialerlass, d. d. Berlin 23. Februar, geschehen.

145-3 Nr. 11840. Der Cabinetsbefehl war im Concept und in der Ausfertigung vom 16. Februar datirt.

145-4 Edelsheim. Vergl. Nr. 11846.

145-5 Vergl. Nr. 11845.

145-6 Vergl. Nr. 11840.

145-7 So nach dem Déchiffré der Ausfertigung.

145-8 Vergl. Nr. 11842.

145-9 Vergl. Nr. 11847.

146-1 Vergl. Nr. 11878.

146-2 Vergl. Nr. 11879.

146-3 Vergl. Nr. 11884.

146-4 So nach dem Déchiffré der Ausfertigung.

147-1 So nach dem Déchiffré der Ausfertigung. In der Vorlage „detachée l'une“ .

147-2 Jedenfalls von der Herzogin von Gotha mit ihrem Schreiben vom 25. Februar eingesandt. Vergl. Nr. 11889.

147-3 Anspielung auf die englischen Eroberungen in Nordamerika.