11944. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.
Freiberg, 27 mars 1760.
J'ai bien reçu vos trois rapports du 14 de ce mois dont j'ai été bien aise par les particularités qu'ils comprennent.
Ne doutant pas que vous ne soyez actuellement au fait de ce qui regarde un nommé comte de Saint-Germain, arrivé depuis peu à La Haye, où il a demandé expressément198-7 un entretien secret à M. de Yorke, je passe ici tout ce qui regarde son personnel, dont je ne doute<199> pas que mes ministres vous en auront déjà informé,199-1 mais dirai seulement en précis de quoi il s'est agi dans cette conversation, selon le rapport que le sieur Yorke en a fait à sa cour et qu'il a bien voulu faire lire confidemment au sieur de Hellen.
Il s'agit donc que ce comte de Saint-Germain a débuté d'abord pour se donner pour bon Anglais et Prussien, qualité qui le faisait regarder de bon œil aujourd'hui à Versailles, et ayant ajouté qu'il s'estimerait fort heureux, si, par ses soins et un peu de crédit qu'il pourrait avoir à la cour de France, il pouvait contribuer à terminer cette funeste guerre, et qu'il croyait pouvoir assurer que la chose, si on voulait répondre un tant soit peu aux désirs sincères de la France, ne serait pas impossible d'en voir la fin. Sur quoi le sieur Yorke l'ayant interrompu, pour lui dire que c'était une matière trop délicate pour en parler à quelqu'un dont on ne savait pas la vocation qu'il avait pour en traiter, ni jusqu'où il pouvait y être autorisé ou non, le comte a repris qu'à la vérité il n'était pas muni de lettres de créance en forme, mais qu'il pouvait lui montrer quelques pièces qui prouveraient assez qu'il n'était pas là sans aveu, mais par ordre exprès de la cour de Versailles. Il a donné là-dessus à lire deux lettres du maréchal de Belle-Isle, une datée du 4, l'autre du 26 février dernier, toutes les deux remplies d'éloges de ses talents, de son zèle etc. Dans la première le maréchal lui envoie un passe-port de Sa Majesté Très-Chrétienne en blanc qu'il lui permet en termes exprès de remplir; dans la seconde, beaucoup de protestations combien on mettait de confiance en lui et combien on s'impatientait d'avoir bientôt de ses rapports. Cet émissaire a ajouté qu'on l'avait chargé de tâcher de rétablir dans ce pays-là le crédit des fonds de la France, mais qu'il prévoyait fort bien qu'il ne réussirait pas à rétablir la confiance à cet égard, ce qu'il avait démontré aussi en confidence au comte d'Affry, en lui faisant accroire que c'était l'unique objet de sa mission, quoique ce n'était au fond que le prétexte. Que la Marquise et le maréchal de Belle-Isle lui avaient donné les assurances du consentement de Sa Majesté Très-Chrétienne de venir à La Haye pour sonder lui, Yorke, sur les conditions auxquelles l'Angleterre voudrait faire la paix. Que le comte d'Affry n'était pas du secret, que le Roi, le Dauphin, la Marquise, le maréchal de Belle-Isle, bref toute la cour et la nation désiraient ardemment la paix, à l'exception du duc de Choiseul et du sieur Berryer, dont le premier, à l'exemple de Bernis, travaillait sous main contre la Marquise et la trahissait, qu'aussi il serait mis à côté, si la Marquise était une fois ferme, en procurant la paix dont la France avait le plus grand besoin du monde. Que le sentiment du maréchal et de toutes les honnêtes gens était qu'il fallait tâcher d'éviter absolument de faire une nouvelle cam<200>pagne. Qu'il était vrai qu'on avait eu une fois l'idée de procurer un établissement aux Pays-Bas à la duchesse de Parme, qui en avait eu grande envie pour elle-même, mais qu'on y avait entièrement renoncé depuis sa mort,200-1 d'autant qu'on sentait fort bien qu'il faudrait soutenir une longue guerre contre l'Angleterre et la République même, avant de pouvoir espérer d'y réussir. Qu'on n'espérait pas beaucoup non plus, ni ne comptait guère sur l'Espagne, quoique le duc de Choiseul s'efforçait de faire accroire le contraire ; enfin, que la France désirait extrêmement la paix et de pouvoir la faire à des conditions un tant soit peu honnêtes, et qu'on serait charmé de savoir celles auxquelles l'Angleterre voudrait la faire. Qu'on ne croyait pas y parvenir en renvoyant le tout à un congrès général et qu'on ne s'entendît ensemble auparavant; qu'on avait quelque difficulté d'articuler le mot de vouloir abandonner ses alliés, d'autant qu'il renfermait quelque chose de déshonorant, mais que, si une bonne fois on était d'accord, il a ajouté, comme de soimême, qu'on pourrait peut-être se borner à n'envoyer que les 24000 hommes ou n'offrir que l'équivalent en argent, mettre un peu de lenteur dans l'exécution, que les plaintes, les reproches suivraient de reste et fourniraient une défaite d'en faire encore moins.
Le sieur de Yorke, ayant vu qu'il parlait clair, lui a répondu qu'il était très certain que Sa Majesté Britannique désirait sincèrement la paix; que la déclaration qu'elle avait fait faire au milieu de ses succès, le prouvait de reste; qu'il s'agissait de voir si la France en avait une envie aussi sincère; qu'il ignorait à la vérité les conditions que sa cour y mettrait, que tout ce qu'il pouvait lui dire, était, que la chose serait impossible, si la France voulait la proposer à l'exclusion des alliés de l'Angleterre, mais possible avec ceux-ci. M. Yorke a ajouté, ce que cependant [il] n'a pas marqué à sa cour, que, si la France voulait proposer quelque chose à l'exclusion du roi de Prusse, elle n'avait qu'à chercher un autre canal, que, pour lui, il ne s'en chargerait pas.
Le comte a répliqué qu'il serait à souhaiter que le roi de Prusse voulût faire quelque chose. — „Voudriez-vous qu'il cédât la Silésie?“ l'a interrompu le sieur Yorke. — „Non pas,“ a répondu le comte; „la France voudrait même la lui garantir de nouveau.“ — Yorke lui ayant demandé quelle perte était la plus sensible à la France, si c'était le Canada? le comte a répondu: „Non; on trouve qu'il nous coûte 36 millions d'entretien et que les retours ne sont nullement proportionnés.“ — „C'est donc la Guadeloupe?“ — „Non plus; nous aurions assez de sucres sans cette île.“ — „Voudrait-on conserver les fortifications de Dunkerque?“ — „Non plus; leur démolition n'arrêterait pas la signature de la paix.“ — „Sont-ce donc les colonies en Afrique et aux Indes orientales qui tiennent le plus au cceur?“ — „Vous y voilà,“ a repris le comte; „nous ne pouvons rien en céder, ni abandonner,<201> puisque cela a une trop grande connexion avec nos fonds. Que penset-on en Angleterre au sujet de Minorque?“ — M. Yorke a répliqué : „0n l'a oubliée entièrement, et je vous assure que je n'en ai entendu parler depuis deux ans.“ — „Voilà,“ a répondu l'autre, „ce que je leur ai dit cent fois, et je vous dirai entre nous qu'il pèse assez à la France de la soutenir.“ —
Voilà le précis de cette conversation. Le comte a demandé le secret à M. Yorke, promettant d'envoyer un exprès le même soir à Versailles, savoir le 14 de ce mois, le priant d'en faire de même, et qu'il irait en attendant à Amsterdam, jusqu'à ce qu'on puisse avoir réponse réciproquement.
Comme vous voyez par là que la France vient de s'expliquer assez clairement, et qu'elle vient de faire ce pas que les ministres anglais ont désiré jusqu'à présent, pour se déclarer [sur] ce qu'elle veut céder et garder pour avoir la paix, j'espère que lesdits ministres voudront s'approcher à présent également et donner [leurs] instructions au sieur de Yorke pour pouvoir s'expliquer sur ce que l'Angleterre voudra donner ou garder; de cette façon-là j'ai tout lieu de croire qu'on conviendra bientôt de son fait et que l'on finira au plus tôt, ce qui me tirera de tout mon embarras. Vous ne manquerez pas d'en parler aux ministres où il le conviendra, et d'appuyer au mieux, afin que le sieur Yorke soit instruit au plus tôt mieux là-dessus, et qu'on tâche de convenir avec la France sur les points préliminaires de paix à régler pour base de la pacification générale à constater au futur congrès.
A quelle occasion je ne saurais assez vous recommander de veiller principalement et de mettre toute votre application et savoir sur ces deux points, savoir : primo, que les articles préliminaires soient conçus en termes si clairs et nets que la France n'y saurait trouver des chevilles pour s'en dédire ou s'en reculer, et, en second lieu, que rien [n']y entre qui saurait préjudicier à mes intérêts, soit directement soit indirectement, ni ne saurait m'obliger à quelque cession ou indemnisation, de quelle nature qu'elle soit. Ce que vous observerez le plus scrupuleusement.
Pour vous donner quelque marque de reconnaissance de la satisfaction que j'ai eue jusqu'à présent de vos services fidèles, je viens de mon propre mouvement vous conférer le poste de drossart à Stickhausen201-1 dans l'Ost-Frise, qui est devenu vacant par la mort du baron de [Appel],201-2 de la façon que vous le verrez par la copie d'ordre que j'ai fait expédier à ce sujet au directoire-général à Berlin.
<202>P. S.
Je viens de recevoir une lettre de Voltaire qui me marque que le duc de Choiseul souhaita que je cédasse Wesel avec le pays de Clèves à la France. Si l'avis de Voltaire était fondé, je ne saurais pénétrer quel usage la France voudrait faire de ce pays-là, ne pouvant le garder pour lui sans mettre au désespoir la république de Hollande, ni le céder à la Reine-Impératrice, dont la France augmenterait par là les forces de ce côté-là, quand une fois le système présent entre les deux cours [cessera]; aussi le comte Saint-Germain n'en a-t-il rien touché dans son entretien avec le général Yorke, mais donné plutôt à entendre qu'on avait laissé tomber en France toute idée d'établissement dans les Pays-Bas depuis la mort de la duchesse de Parme. Il ne me reste donc que de présumer qu'il y a deux partis à la cour de Versailles, dont l'un est intentionné de remettre la paix de la France d'une manière raisonnable et conforme à son état présent délabré, que le duc de Choiseul pense de traverser par cette proposition, pour me dégoûter de la paix et pour la contrecarrer par là.
Au reste, mon émissaire est arrivé à Paris; il m'apprend que le bailli de Froullay s'est chargé avec beaucoup d'empressement de ma commission et qu'il a mis d'abord les fers au feu,202-1 ce qui me fait croire qu'il a de l'espérance à y réussir, sans quoi, selon le caractère dont on le connaît, il ne l'aurait pas entrepris. Il faut que j'attende le reste. Mon homme me fait espérer une prompte réponse; dès que je l'aurai, je vous l'enverrai par un courrier exprès.
Federic.
Nach dem Concept.
198-7 Das folgende nach dem Bericht Hellens, Haag 18. März. Vergl. Nr. 11945.
199-1 Dies war durch Ministerialerlass an Knyphausen, d. d. Magdeburg 25. März, geschehen.
200-1 Die Prinzessin war am 6. December 1759 gestorben. Vergl. Bd. XVIII, 717.
201-1 Südostsüdlich von Aurich.
201-2 Der Name fehlt in der Vorlage; eingesetzt nach dem Déchiffré der Ausfertigung.
202-1 Vergl. Nr. 11946.