11947. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 28 mars 1760.

Le courrier de mon émissaire en France vient d'arriver m'apporter la réponse que le bailli de Froullay m'a faite, et que je vous envoie ci-clos en original, avec les éclaircissements y joints par écrit qu'on m'a donnés également pour mieux entendre le vrai sens de la réponse.

Vous verrez par là que la France est déterminée à faire sa paix avec l'Angleterre, pour avoir l'occasion par là à ne pas faire cette campagne. Si le ministère britannique saura convenir avec la France des préliminaires de paix, je crois l'affaire faite et bientôt conclue. Pour sauver les apparences de dehors, les Français voudront se stipuler la liberté de donner en auxiliaires 24000 hommes à l'Impératrice-Reine, et on m'assure qu'on trouverait moyen de décliner encore ce secours, quand il en sera question de l'exécution : de sorte que la paix avec la<204> France ne dépendra que de la façon dont les Anglais sauront convenir avec la France, pour terminer leurs querelles de mer.

Vous chercherez de parler le sieur Pitt, pour lui dire de ma part avec un compliment convenable que, comme par sa sage et ferme conduite la France se voyait réduite à demander la paix de l'Angleterre, qui ne dépendra que d'elle et des conditions qu'elle voudra y mettre, que je croyais que, pour en convenir des préliminaires, il n'aurait que de donner au plus tôt des instructions au général Yorke pour s'en concerter avec le comte de Saint-Germain,204-1 et qu'il me paraissait que, pour peu que cette négociation fût poussée, on en conviendrait en peu de temps. Que, quant à mon sort, je le remettais aux mains de l'Angleterre, et que j'étais réjoui de le voir dans de si bonnes mains, surtout que celles du digne sieur Pitt; que je [me] flattais, cependant, qu'en convenant avec la France sur les préliminaires de paix avec l'Angleterre, on en conviendrait aussi avec la première à mon sujet, pour que j'eusse mes sûretés vis-à-vis de la France, ne dût cela se faire en tout cas [que] par des articles secrets des préliminaires.

A ce que vous verrez par la lettre du bailli de Froullay et les éclaircissements joints, il répugne un peu à la France de négocier et de conclure directement la paix avec moi, comme principal ennemi de l'Impératrice son alliée, à l'égard de laquelle elle voudrait du moins garder quelque dehors pour l'apparence, mais bien par l'Angleterre. Pour donc n'obvier pas au grand ouvrage salutaire, je veux bien passer sur cette formalité et remettre mes intérêts à l'Angleterre, étant persuadé que je [ne] saurais les mettre dans de meilleures mains, et qu'elle voudra bien prendre les précautions requises à ce que la France ne saurait pas nous duper à mon égard et qu'elle fût obligée encore d'écarter les Suédois, afin que ceux-ci ne sauraient plus agir contre moi.

Comme mon émissaire, le sieur d'Edelsheim, que la cour de Gotha m'a prêté, a été lui-même le porteur de la réponse du bailli de Froullay à moi,204-2 et qui m'a donné les éclaircissements par écrit, tels qu'on les lui a dits, et qu'il s'offre d'aller encore d'ici à Londres pour expliquer de bouche plus amplement à vous et aux ministres anglais tout ce qu'il a appris à son séjour de Paris, tant au susdit sujet que de la situation actuelle de la France, je le ferai partir demain d'ici pour Londres, en le munissant d'une lettre d'adresse à vous.204-3 Vous aurez soin, après vous être expliqué avec lui, de l'introduire auprès du sieur de Pitt et des autres ministres anglais où vous le trouverez convenable, afin qu'il s'y explique également. Je crois que cela fera un bon effet. Ils pourront même se servir de son canal, s'ils le trouvent à propos, pour de nouvelles insinuations.

Vous n'oublierez pas de faire remarquer adroitement aux ministres<205> anglais avec combien de bonne foi et avec quelle ouverture cordiale et sincère j'agis envers eux, en ne pas leur communiquant seulement les lettres originales, mais en envoyant encore mon homme secret pour s'expliquer eux-mêmes de tout avec lui. Vous tâcherez, au reste, de ravoir les lettres originales que je leur communique.

Federic.

Paris, 15 mars 1760.

Paris, 19 mars 1760, après-midi.

Sire. La bonne opinion que Votre Majesté veut bien avoir de la droiture de mes sentiments, me dédommage de l'embarras où je me suis trouvé en recevant les ordres de Votre Majesté par Sa lettre du 17 février dernier,205-1 qui m'a été très secrètement et très fidèlement remise le 10 de ce mois.

J'en ai fait, Sire, l'usage que Votre Majesté me prescrivait. Le Roi Très-Chrétien l'a lue en entier, il y a vu avec plaisir les dispositions de Votre Majesté pour la cessation des hostilités et le rétablissement de la tranquillité et du bonheur de l'Europe. Le Roi Très-Chrétien m'a assuré que ces dispositions étaient très analogues à ses sentiments de paix; que Votre Majesté connaissait depuis longtemps combien son inclination le portait à la justice et à la tranquillité, et qu'ainsi je pouvais mander en réponse à Votre Majesté qu'il ne dépendrait pas de lui que les malheurs ne cessassent et que la paix ne fût rétablie.

Le ministre des affaires étrangères que j'ai vu, a ajouté à ce que Sa Majesté Très-Chrétienne m'avait fait l'honneur de me dire, que le Roi son maître pensait que le moyen le plus certain pour faire la paix générale, était de traiter et de conclure séparément la paix de la France avec l'Angleterre; qu'il n'était pas possible que Votre Majesté ne comprît que cette voie était la plus sûre, comme la plus courte; qu enfin le Roi son maître pouvait, sans manquer à ses alliés, ou recevoir les propositions de l'Angleterre ou lui en faire. Ce ministre en est resté là, et, en s'interrompant lui-même, il m'a dit : „Si le roi de Prusse, comme il vous le paraît, désire la paix et qu'il n'ait pas l'intention de communiquer la réponse à sa lettre aux différentes cours de l'Europe, il peut prendre la voie d'Angleterre, pour parvenir au but qu'il se propose, et nous lui ferons connaître la bonne opinion qu'il doit avoir de notre probité et de notre franchise; car, à la première apparence de réussite de paix avec l'Angleterre, autant sommes-nous mesurés à présent, autant nous avancerons-nous, pour conclure un ouvrage si salutaire.“

Telles sont les réponses que J'ai eues à la communication de la lettre de Votre Majesté; je dois Lui dire que J'ai été très bien reçu et que Je suis resté à portée de recevoir de nouveaux ordres de Sa part, si Elle le juge à propos.

En mon particulier, renfermé dans les bornes que prescrivent à mon caractère les devoirs d'une exacte neutralité, connaissant d'ailleurs l'impuissance et le néant de mes moyens, je conserve au fond du cœur le désir le plus sincère de faire ma cour a Votre Majesté et de Lui témoigner, autant qu'il est possible à un faible mortel, le très parfait attachement et le très profond respect etc.

De M. le ministre de Choiseul, par M. de Froullay.205-2

1.

Si Sa Majesté Prussienne souhaite que l'ouverture de la campagne prochaine ne se fasse point, il faut qu'il y ait des préliminaires convenus ou à peu près convenus avec l'Angleterre avant le mois de juin.

<206>

2.

Dès qu'il y aura une apparence de paix avec l'Angleterre, la France fera de son mieux pour conclure le reste.

3.

Le malheur des circonstances ne permet point que l'on s'explique actuellement d'une autre façon et que l'on se serve d'une autre voie.

4.

Dès qu'on verra que l'on se fie un peu à nous, nous serons moins mesurés que nous le paraissons à présent.

De M. de Froullay à part.206-1

5.

M. de Choiseul paraît être fort porté pour nos idées. Il m'a dit en particulier: „Vous savez bien que ce n'est pas moi qui ai fait le traité de Vienne.“

6.

L'on craint qu'on ne fasse un mauvais usage des ouvertures qu'on pourrait faire, c'est pourquoi l'on n'ose s'avancer davantage.

7.

Les cours de Russie et de Vienne ont fait le 19 de ce mois de nouvelles protestations à la France, pour l'engager à entrer de bonne heure en campagne et, en abandonnant tout-à-fait la marine, à se dédommager amplement en Allemagne, où il paraît que le sort et les forces décideront cette année en faveur des vœux et des désirs des Impératrices.

8.

C'est un motif de plus à engager la France de hâter la paix avec les partis proposés, parceque son intention n'est nullement de déranger l'équilibre en Allemagne et, en particulier, d'épuiser le r[oi] de P[russe], — si Von peut se servir de ce terme.

9.

La Russie s'est engagée de donner un corps de 30 000 hommes, pour le joindre à celui du général Laudon, outre l'armée formidable qu'elle envoie en Allemagne.

10.

Si le roi de Prusse a eu assez de confiance en vous, pour vous faire l'honneur de vous charger de la commission dont vous venez de vous acquitter, il ajoutera certainement foi à ce que vous direz avoir reçu en réponse sur ce sujet.

11.

Nous imaginons qu'aucun parti ne gagnera grand'chose dans cette guerre-ci, et nous-mêmes, quoique nous ayons Port-Mahon etc., nous sentons très bien qu'en faisant la paix, nous perdrons quelque chose, tout comme les autres.

Das Hauptschreiben nach dem Concept; die Beilagen nach dem Original.

<207>

204-1 Vergl. Nr. 11944.

204-2 Vergl. dagegen den Anfang des Schreibens.

204-3 Cabinetsschreiben d. d. Freiberg 29. März.

205-1 Nr. 11845.

205-2 In dem an Finckenstein am 30. Marz (vergl. Nr. 11958) gesandten Auszug führt der König das folgende mit den Worten ein; „II [le ministre des affaires étrangères] s'est expliqué encore par manière de conversation envers le Bailli que, si je souhaitais que l'ouverture“ etc.

206-1 In dem Auszug für Finckenstein: „M. de Froullay a assuré mon émissaire que M. de Choiseul“ etc.