11974. IDÉE SUR LES PROJETS DE L'ENNEMI ET SUR NOS OPÉRATIONS.235-2

Il est impossible de constater les choses, lorsque l'on n'en peut juger que par des conjectures et qu'il faut plutôt deviner les desseins<236> de l'ennemi qu'on ne peut dire d'en être bien instruit. Cependant, en faisant plusieurs suppositions et en se représentant les choses probables qui peuvent arriver, on se fait une règle générale pour se conduire, que, si tout n'est pas applicable, du moins s'en trouve-t-il une partie: voilà donc tout l'usage qu'on peut tirer de ces réflexions, qui seront toujours utiles, s'il s'y trouve quelque chose d'applicable aux conjonctures dans la suite de cette campagne.

On voit, en général, que les vues de la cour de Vienne vont à faire cette année de grands progrès en Silésie. Pour cet effet Laudon se trouve avec un corps de 20000 hommes en Haute-Silésie, et son dessein, qui se découvre de plus en plus, de mettre le siège à Neisse, me paraît devoir être contenu d'un côté par les Russes, dont le dessein se décèle également par, la formation de leurs magasins, de vouloir assiéger Colberg. Daun pense que, vu l'éloignement des lieux, il faut nécessairement que nous options entre les Russes ou Laudon; que, si nous marchons vers Neisse, les Russes, en un moment, deviennent maîtres de la Poméranie. Il comprend, d'ailleurs, que le corps de Fouqué ne saurait rester longtemps dans cette position, et il tient 20000 hommes prêts en Lusace, pour pouvoir pénétrer en Silésie par Lœwenberg.

En Saxe il y a apparence qu'il a fait fortifier tous les postes aux environs de Dresde, pour être en état de les soutenir avec peu de troupes, et qu'à l'ouverture de la campagne il passera l'Elbe et se campera à Grossenhain ou quelque part aux environs, et qu'il destine le corps de Deux-Ponts pour faire une diversion dans le Magdeburg et le Halberstadt.

Il est sûr qu'à considérer notre situation avec les dangers qui nous menacent, elle me paraît terrible, et tout ce que l'on peut faire pour s'opposer, me semble insuffisant, à moins que quelque prompt changement ne survienne. Si je marche contre les Russes et que dans quinze jours je ne me batte point, le grand éloignement m'empêchera d'arriver à temps pour secourir Neisse. Si je partage l'armée de la Silésie en deux parties égales, chacune ne fera que 28000 hommes au plus, chacune sera obligée d'agir sur la défensive, et, étant faible partout, c'est risquer d'être battu de tous les côtés. Si donc on rassemble des forces considérables d'un côté, il faut en faire usage pour se débarrasser d'un ennemi et pour courir s'opposer à l'autre, comme cela m'a souvent réussi; et, si malheur arrive, on est abattu tout d'un coup, au lieu que, si l'on n'avait rien risqué, on aurait péri quatre mois plus tard.

Pour obvier cependant, autant que je l'ai pu, aux malheurs qui pourraient arriver, et pour gagner du temps, j'ai ordonné qu'on jetterait 4 bataillons et 200 dragons à Neisse,236-1 pour que la place fût d'autant<237> mieux en état de soutenir un long siège; reste à 16 bataillons pour couvrir les endroits de la Silésie les plus exposés, surtout pour que le prince Lœwenstein ne peut point pénétrer à Breslau.

En Saxe il me parait que les articles principaux seront ceux : de bien couvrir et d'avoir grande attention aux magasins de Torgau et de Wittenberg; de passer l'Elbe, si l'ennemi la passe, en laissant un corps de ce côté-ci de l'Elbe; de laisser avancer les Cercles jusques dans les plaines, tant pour obliger le prince Ferdinand à y porter des secours que pour les tirer des montagnes, si l'on peut les combattre, mais d'avoir encore l'œil sur les détachements que Daun pourrait faire pour la Silésie, et d'en faire à proportion, s'entend 6000 hommes contre 10000, pour que l'ennemi ne gagne pas une trop grande supériorité dans cette province.

Mais comme toutes les apparences sont que la paix se fera entre les Français et les Anglais, le prince Ferdinand, en se portant sur Eger, débarrassera la droite de cette armée des attentions sur Leipzig et sur le Halberstadt, ce qui doit alors redoubler les attentions pour la Silésie. Si Daun se repliait en Bohême, on pourrait, en ce cas, reprendre Dresde, et, pour ne point abandonner le prince Ferdinand, lui donner des secours ou suivre Daun, selon que les circonstances le permettent.

Mais si les Turcs tiennent leur parole et qu'ils attaquent Temesvar à la fin de mai, tout change de face, et, en ce cas, l'armée de Poméranie n'aura pas besoin de se commettre à une bataille; les Autrichiens seront obligés de faire partir en hâte le corps de Laudon et d'y joindre au moins 30000 hommes des troupes qu'ils ont à présent en Saxe, de sorte qu'en y ajoutant la diversion du prince Ferdinand sur Eger, ils seront obligés de vider la Saxe. Il faudra, en ce cas, les suivre, et nous pourrons agir de trois côtés : 1° le prince Ferdinand sur Eger, un corps sur l'Elbe, et Fouqué en Moravie. On peut juger dans quel embarras cette position jettera les ennemis; il faudra en profiter, mais je ne saurais jusqu'à présent encore dire comment, car il faudrait être instruit des mesures que l'ennemi prendra alors. Je souhaite de tout mon cœur que cela arrive, car ce sera probablement le terme de tous nos malheurs.

Nach der eigenhändigen Niederschrift des Königs.



235-2 Die „Idee“ wird am 5. April an Fouqué übersandt (vergl. Nr. 11975), vermuthlich an demselben Tage auch an den Prinzen Heinrich (vergl. Nr. 11976).

236-1 Vergl. S. 230.