12212. AU SECRÉTAIRE BENOÎT A VARSOVIE.

Au quartier général de Radeburg, 23 juin 1760.

Vous savez déjà, par ma lettre du 21 de ce mois,452-3 combien que [je] l'ai applaudi quand vous m'avez marqué, par la vôtre du 13, que vous aviez animé M. de Kaniewski452-4 à porter de grandes plaintes contre<453> les Russes en Pologne et leurs mauvais procédés envers la République, à la Porte Ottomane; je me flatte aussi que vous aurez réussi auprès de cet honnête homme, digne patriote de la République.

Mais comme il importe extrêmement dans ce moment très critique pour les intérêts de la République et sa liberté, dont je prends toujours les intérêts à cœur, et que, d'ailleurs, il m'est à présent de la dernière importance que sans délai et sans aucune perte de temps quelques starostes et gens bien intentionnés pour moi — car, pour les grands de Pologne, il n'y faut pas compter ni s'amuser avec eux, par la raison que vous connaissez — portent de pareilles plaintes à la Porte Ottomane, en représentant à celle-ci dans des termes bien douloureux, directement au Grand-Vizir, l'état présent calamiteux de toute la République, et qui ne saurait qu'entraîner sa ruine entière et de la liberté de la noblesse et tous sujets de la République, par l'entrée de l'armée russe en Pologne depuis presque deux années, au grand mépris de la Porte Ottomane, qui avait fait autrefois une convention avec la Russie en conséquence de laquelle il avait été religieusement promis par celle-ci qu'elle ne ferait plus mettre pieds à aucunes de ses troupes sur le territoire de la République, et moins encore de s'y arrêter; que, nonobstant cette solennelle convention, presque la plus grande partie de l'armée russe était entrée non seulement de force dans la Pologne depuis le susdit temps, mais qu'elle y vivait entièrement à discrétion, comme si c'était dans un pays ennemi; qu'ils obligeaient la noblesse et les sujets de la République à de grandes livraisons pour la subsistance de ceux-là,453-1 sans penser à aucune bonification; qu'ils avaient occupé les forteresses de la République et en chassé les garnisons de celle-ci, et qu'il n'y avait ni rapine ni violence ni cruautés que ces troupes russes n'exerçassent contre les sujets et contre la noblesse de la République, partout où les Russes se trouvaient; que tous leurs privilèges et prérogatives fussent foulés aux pieds, que les patriotes de la République n'osent presque se remuer ni parler, sans être d'abord menacés que les Russes pilleraient et mettraient le feu à leurs terres ; qu'on en avait [porté] des plaintes amères tant à la cour de Russie qu'au roi de Pologne-Saxe, mais que la première s'en était moquée et qu'on prêchait à des oreilles sourdes auprès du Roi et de son ministre Brühl, vu les liaisons qu'ils avaient avec les Russes et les Autrichiens, qui agissaient en ceci de concert; qu'on avait convoqué une Diète à Varsovie, mais que cette Diète se tiendrait sous les auspices des troupes russes, qui forceraient, l'épée aux reins, tout ce qu'il y aurait encore de bons patriotes de la République à souscrire aveuglément à leurs volontés et de prendre sur eux, sans remuer, le joug d'un entier esclavage, que les Russes et la cour de Varsovie leur voulaient imposer à n'en revenir jamais, en rendant ceux-ci despotiques et la couronne de Pologne héré<454>ditaire aux Saxons; enfin, qu'il en était fait de la République et de sa liberté déjà agonisante, si la Porte Ottomane ne fût touchée à ces dernières calamités et n'interposât son autorité pour ses propres intérêts, afin de faire sortir incessamment les Russes du territoire de la Pologne et à réparer toutes les pertes et dommages qu'ils y avaient causés, sans jamais y oser remettre les pieds, sous quelques prétextes que ce fût, et afin que la constitution et la liberté de la République fussent sauvées et remises dans leur entier contre les infractions de la cour de Saxe, qui ne cessait depuis bien du temps à saper et ruiner de fond en comble cette constitution et précieuse liberté de la République et cetera :

Vous devez travailler sur ceci incessamment et dès que vous aurez reçu cet ordre de moi, afin de trouver quelques starostes bien intentionnés, n'en fussent-ils que deux ou trois, qui écrivent, chacun séparément, de pareilles lettres et les envoient sans la moindre perte du temps directement à Constantinople.

Mais, pour bien réussir dans cette commission très intéressante à moi dont je vous charge, il faut que vous ayez beaucoup d'attention sur les points suivants. Premièrement, il ne faut pas que vous perdiez un moment, afin d'avoir ces starostes à votre disposition et les mener à ce qu'ils écrivent incessamment ces lettres. En second lieu, pour les assurer du secret qu'il leur sera observé là-dessus, il faut que ces gens adressent leurs lettres immédiatement et seul au Grand-Vizir, duquel j'ai des sûretés non équivoques qu'il gardera un secret inviolable là-dessus, jusqu'à ne montrer ces lettres à la Porte à âme qui vive, ni n'en parler de ceux qui les ont faites; ce que je saurais garantir à eux, de sorte qu'ils n'auront rien à craindre du ressentiment de qui que ce soit, et que tout restera un secret. En troisième lieu, pour aider à ces gens aux frais que l'envoi de ces lettres [pourrait causer], et pour les disposer d'autant plus tôt à les faire incessamment et sans aucune perte de temps, j'ai fait l'ordre à mon ministre de Schlabrendorff de tenir incessamment prêt la somme de 3000 ducats et jusqu'à 10 ou 12000 écus à votre disposition, pour vous en remettre incessamment tout ce que vous lui en demanderez à l'usage susdit.

Évertuez-vous donc pour accomplir incessamment ce que je désire de vous; ce sera un service signalé que vous me rendrez en ceci, dont je vous tiendrai réellement compte. Si vous jugez de n'avoir pas besoin de toute la somme de 10 ou 12000 écus pour parvenir au plus tôt à cette fin que je désire au sujet des susdites lettres, je vous autorise, en conséquence de celle-ci, de disposer prudemment de ce qui vous en restera pour des largesses à vos amis, afin de faire rompre et échouer, à la barbe des Russes et malgré toutes les machinations de la cour de Varsovie, la Diète qu'on va assembler. Prenez-vous y bien, et donnezmoi par là une preuve convaincante de votre esprit et de votre zèle et savoir-faire.

Quoique par les bonnes raisons que vous m'avez autrefois indiquées,<455> pour ne plus vous charger des envois des lettres pour la Turquie, [j'y dusse acquiescer], je vous adresse néanmoins la présente à M. Rexin,455-1 qui m'importe extrêmement de parvenir le plus tôt possible et sûrement à sa destination. N'auriez-vous pas moyen de la faire passer à notre ami Kaniewski? que vous supplierez en mon nom ou tout comme vous le trouverez bon, de l'envoyer incessamment par quelque homme affidé à Constantinople, pour la rendre au plus tôt en mains propres du sieur de Rexin, et auquel sujet je me charge de tous frais. Tâchez de me satisfaire aussi sur cet article; pour l'avenir je vous dispenserai de pareils messages; mais pressez tout au mieux et avec vivacité ce dont cet ordre secret vous charge.

Federic.

Nach dem Concept.



452-3 Vergl. Nr. 12197.

452-4 So. Gemeint ist der Starost von Kaniow. Vergl. S. 439.

453-1 So.

455-1 Nr. 12201.