898. A L'EMPEREUR DES ROMAINS A FRANCFORT SUR-LE-MAIN.
Camp de Kuttenberg, 18 juin 1742.
Monsieur mon Frère et Cousin. C'est dans l'amertume de mon cœur que je suis obligé de faire un détail à Votre Majesté Impériale du délabrement de Ses affaires.
Elle me rendra la justice que mon zèle pour Ses intérêts ne s'est jamais démenti, et que je me suis porté avec toute la vigueur imaginable pour La mettre en possession de Son domaine par la voie des armes. J'ai opéré dix-huit mois presque sans discontinuer, toujours entretenu dans l'espérance de ce que mes alliés partageraient mes peines et mes périls. Votre Majesté est assez informée de la retraite des Saxons, mais Elle saura de plus qu'après la chétive retraite du maréchal de Broglie sur Prague, Messieurs les Saxons n'ont jamais voulu avancer au secours des Français, ce qui a donné le moyen au prince Charles de couper les Français et de la Bavière, et dé leurs magasins de Pilsen, et de leurs secours. Ceci change si totalement le tableau que nous voilà plus reculés que nous l'étions au mois de septembre de l'année passée.
Quelque projet que l'on puisse faire, on ne doit point se flatter qu'à moins de trois, victoires on vienne à bout de réduire la cour de Vienne. Quelle fortune ne faut-il point pour un succès pareil, et combien de temps? Ce n'est assurément point l'affaire d'une campagne, et si malheureusement il nous arrivait un échec, et que dans cet intervalle d'autres puissances tout prêtes se mêlassent de cette guerre, j'en prévoirais de funestes suites pour les alliés. Je ne dois pas non plus cacher à Votre Majesté Impériale que les Français et le Cardinal sont excédés et las de cette guerre, que le roi de Pologne est autant qu'accommodé avec la cour de Vienne, et que de tous les côtés que je me tourne tout le poids de cette guerre me tombe sur les épaules.
D'un côté les guinées anglaises, répandues en Russie, ébranlent le système de ce ministère; d'un autre côté les subsides anglais arment toute la Hongrie, prête à fondre sur l'armée du prince d'Anhalt. Qu'Elle joigne à cela l'inaction des Saxons et la faiblesse des Français, et, pour comble, la fortune presque déclarée pour la reine de Hongrie, et Elle conviendra que tous les efforts que je pourrais faire pour redresser ce qui a été perdu, par la faute des uns et par la mauvaise volonté des autres, seraient inutiles.
Me voyant donc réduit dans une situation où mon épée ne Lui devient plus d'aucun secours, je L'assure que ma plume La servira toujours; mon cœur ne se démentira jamais pour Votre Majesté Impériale, et, s'il y a des choses que l'impossibilité seule m'empêche d'accomplir, Votre Majesté me trouvera constamment le même, sur tout ce qui dépend de mes facultés, ne cédant qu'à la nécessité, mais ferme dans mes engagements, incapable de varier dans la promesse que