655. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.

Berlin, 4 janvier 1742.

Monsieur mon Cousin. Vous me prévenez sur toutes les affaires, et cela d'une façon si instructive et satisfaisante que je ne puis assez trouver de termes pour vous en remercier.

Je me flatte que la révolution arrivée en Russie détachera le Danemark de l'Angleterre, et que, par conséquent, le roi de la Grande-Bretagne se verra totalement isolé; car l'augmentation de la Hollande est plutôt l'ouvrage de la crainte que de la témérité, et je ne pense pas que cette République voulût exposer ses libertés et sa tranquillité au sort d'une guerre qui ne peut lui être que funeste, vu le parti formidable de la France, qui l'accablerait. Et comme l'esprit de conquête est banni du conseil de la Hollande, il est à croire qu'ils se tiendront tranquillement sur la défensive, uniquement occupés de leur propre conservation.

Le roi d'Angleterre d'un autre côté, plus attaché à son électorat qu'à ses royaumes, ne commettra point ses provinces d'Allemagne, dont la perte serait inévitable, entourées comme elles sont de Français et de Prussiens, d'autant plus que la déclaration que nos ministres feront à ce prince le dégoûtera, à ce que je crois, de l'envie qu'il pourrait avoir de fomenter le parti de la reine de Hongrie ou de lui fournir quelque secours; de façon que la mauvaise volonté du roi d'Angleterre restera sans efficace et se bornera peut-être à quelques subsides dont la mauvaise économie des Autrichiens garantit qu'ils en perdront le fruit.

Il est sûr que la mort de la reine de Suède4-1 n'est point arrivée dans une conjoncture favorable. Probablement les États de ce royaume s'assembleront pour régler la succession, et probablement le prince de Deux-Ponts ou le prince de Holstein seront les candidats de la couronne. Le premier, dont le parti est le plus considérable, pourrait bien l'emporter, d'autant plus que le prince de Holstein, ayant des droits incontestables sur la Russie, ferait appréhender qu'il ne réunît sûr sa tête la couronne de ces deux grands empires, et que la Suède ne perdît par là ses libertés. Je ne parle point du prince de Hesse, comme du plus <5>faible, et qui, je crois, ne primera point, la nation étant dégoûtée des princes de cette maison. Tout ceci ne sont que des conjectures, que je soumets à votre jugement et à vos lumières.

Il me semble que dans tout ceci nous ne pouvons rien faire de mieux que de rester inviolablement attachés à nos engagements, sans y porter d'altération en quoi que ce puisse être: c'est le moyen le plus sûr de faciliter la paix, qui, je crois, ne pourra manquer d'être acceptée par les Autrichiens, si après l'élection les quatre puissances alliées la leur faisaient offrir de concert, selon les conditions stipulées; au cas de refus, on serait plus autorisé de leur ôter Vienne et toute l'Autriche, si l'on veut. Mais je me flatte qu'isolés comme ils sont, et destitués de tout secours, ils accepteront les conditions que les alliés leur feront. Vous pouvez compter sur moi quant aux intérêts de la France; il n'y a rien de plus juste que que ce prince soit indemnisé des fraix de la guerre par une acquisition qui soit de votre convenance, et si je puis y contribuer, je le ferai du meilleur de mon cœur.

La guerre d'Italie sera entièrement à votre disposition, si une fois les affaires d'Allemagne sont arrangées, et vous pouvez les conduire comme vous le jugerez à propos, en faisant en ce cas le seul objet de votre attention.

Je suis persuadé que le roi de France doit avoir eu des raisons valables pour retirer le maréchal de Belle-Isle de l'armée, mais je suis sûr qu'il nous le rendra vers l'ouverture de la campagne, en cas qu'il y en ait une.

Les Saxons se donnent beaucoup de peines pour escamoter quelque morceau de la Bohême au nouveau Roi; ils ont voulu pressentir mes sentiments sur ce point, mais je leur ai répondu que je ne connaissais pas les innovations, que je restais attaché à mes engagements, que je n'étais point dictateur de l'Allemagne, et que je ne ferais jamais le chagrin au roi de Bohême de souffrir qu'on lui démembre la moindre partie de ce que je lui ai garanti, et qu'en un mot, si l'un de ces partis commençait à augmenter ses prétentions, tous le feraient, ce qui entraînerait après soi un désordre très préjudiciable aux intérêts de chacun des alliés en particulier, et de la grande affaire en général. Je suis charmé, Monsieur, que vous connaissiez le caractère du politique polonais5-1 dont la mission avait donné de l'ombrage à la moitié de l'Europe; l'incertitude, le chipotage et la fausseté forment les lois de la politique saxonne, et la fourberie se manifeste dans toutes leurs négociations.

J'ai instruit mon ministre Chambrier des choses qui n'ont plus besoin d'être secrètes à présent, et qui ne lui ont été cachées que dans le temps où l'importance du mystère demandait des précautions redoublées. Vous aurez la bonté d'avoir la même confiance en lui que par le passé.

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Je vous réitère encore mes remercîments sur ce que vous vous donnez la peine de m'écrire avec tant de précision sur les sujets où j'avais demandé votre avis; rien ne m'est plus agréable que lorsque je puis profiter de vos lumières et de votre expérience, vous priant d'être persuadé, Monsieur, qu'on ne saurait être attaché à la France plus que je le suis, et qu'on ne saurait être avec plus d'estime, de reconnaissance et de considération que je le suis, Monsieur mon Cousin, votre très fidèle ami et cousin

Frederic.

J'ai honte de la lettre que je vous écris, si j'avais eu du temps, elle n'aurait pas été si longue.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



4-1 Ulrike Eleonore; gestorben 5. December 1741.

5-1 Poniatowski.