814. AU MARÉCHAL DE FRANCE DUC DE BELLE-ISLE A FRANCFORT SUR-LE-MAIN.

Chrudim, 28 avril 1742.

Monsieur. M. de Valory vient de m'envoyer votre lettre du 22 de ce mois, par laquelle j'ai vu combien la fausse nouvelle que M. de Broglie m'a donnée, vous fait de peine. Je n'en ai pas été moins mortifié que vous, mais, la chose faite, il n'y a point de remède. Je suis extrêmement étonné de vous trouver dans l'opinion comme si nous devions tout de suite continuer les opérations. Apparemment que vous n'avez point fait attention à l'armée autrichienne qui est en Moravie, et que j'empêche par ma position de pénétrer dans la Haute-Silésie. Apparemment que vous n'avez pas réfléchi sur les fatigues que l'armée a souffertes pendant tout l'hiver, et à laquelle il faut de repos absolument. Apparemment que vous ignorez que le pays ennemi entre ici et Budweis est entièrement mangé et destitué de subsistance. Peut-être n'avezvous point fait la supputation des nombres des chevaux qu'il me faudrait pour me faire suivre la farine, et pour faire suivre les fourrages; il me faut 500 chariots pour mener la farine avec, pour quinze jours ou trois semaines; ma cavalerie est forte 14,000 chevaux; ajoutez-y 3,000 chevaux d'artillerie, des munitions et des équipages de l'armée, qui en font 17,000 chevaux : calculez combien de charriage il faudrait pour les nourrir pendant trois semaines en m'éloignant de mes magasins. Vous êtes trop habile général pour ne point juger après ceci qu'il faut de nécessité attendre l'arrivée des fourrages pour commencer les opérations. L'entreprise de la Moravie a été manqué, en partie, faute d'avoir pu amasser de la subsistance; je ne saurais m'exposer une seconde fois de tomber dans un pareil inconvénient, ce qui m'obligera de mettre ici mes affaires en ordre, avant que de remuer. Apparemment ne savezvous pas que les Saxons ont marchés à Leitmeritz, et que vous aurez bien de la peine à les en faire revenir. Je dois encore ajouter à ces considérations qu'il serait très imprudent d'ouvrir la campagne avant que tous les secours des Français et ceux de l'Empire se soient rassemblés.

J'attends votre arrivée, Monsieur, pour m'expliquer avec vous sur le plan qu'on pourrait former pour la campagne prochaine, mais en attendant je crois qu'il serait du service de l'Empereur et des alliés que l'on fît embarquer sur le Danube un grand appareil d'artillerie pesante, tant d'Ulm que d'Augsbourg et de Nuremberg, dont la marche ne laissera pas que de donner beaucoup d'inquiétude aux Autrichiens pour leur capitale. Je suis avec toute l'estime imaginable, Monsieur, votre très affectionné et fidèle ami

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

<141>