12571. A LA DUCHESSE RÉGNANTE DE SAXE-GOTHA A GOTHA.

Meissen, 4 décembre 1760.

Madame. Je comprends que bien des raisons vous empêchent de m'accorder la faveur que je vous ai peut-être trop inconsidérément demandée.138-1 Je n'en hais que plus nos ennemis, puisqu'ils en agissent si tyranniquement et que, s'ils ne peuvent gagner les cœurs, ils veulent au moins contraindre les intentions et gêner jusqu'aux sentiments de bienveillance et d'amitié. Je sais que le prince Ferdinand doit agir; je ne sais ce qui l'arrête, et je m'étonne qu'il ait toléré si longtemps les Français et les Saxons dans une position dont il doit avoir prévu les conséquences.

Mais, Madame, que me pronostiquez-vous pour l'année prochaine? Encore la guerre et les mêmes situations désespérées dont un hasard favorable m'a su tirer cette année? Je vous le confesse, cette situation est insupportable, et je ne puis envisager cet avenir qu'en frémissant. C'est comme si l'on disait à un homme : « Vous êtes tombé deux fois dans la mer, sans vous noyer; jetez-vous-y encore! » — Ne répondrait-il pas : « Je rends grâce à mon destin de m'avoir préservé deux fois des dangers éminents que j'ai courus; si je mets ce destin à trop d'épreuves, il m'abandonnera comme un téméraire incorrigible »? — Voilà, Madame, entre vous et moi, ce que je pense de tout ceci. J'en reviens à ce vieux proverbe qui, tout trivial qu'il est, n'en est pas moins vrai : « Tant va la cruche à l'eau qu'elle se brise à la fin. » Un malheureux moment peut tout renverser, et, d'ailleurs, comment nous flatter de la fortune malgré ce nombre accablant d'ennemis qui conjure ma perte ?

Votre correspondant de Londres me fait bien de l'honneur;138-2 mais, Madame, s'il avait vu une de ces batailles de ses yeux, il en conserverait une juste horreur, et il conviendrait que, de toutes les passions des hommes, l'ambition est la plus funeste au genre humain. Daignez faire, Madame, des assurances de mon estime à M. le Duc.

Je pars dans quelques jours pour Leipzig, d'où je compte faire des<139> changements qui tendront à ménager le duché d'Altenburg et, s'il se peut, à contribuer, avec l'aide du prince Ferdinand, à vous délivrer de l'importun voisinage de vos fâcheux.

Je suis avec tous les sentiments de la plus parfaite considération et d'estime, Madame, votre fidèle cousin et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung im Herzogl. Haus- und Staatsarchiv zu Gotha. Eigenhändig.



138-1 Die Herzogin hatte auf den Vorschlag des Königs (vergl. S. 104. Anm. 2), [Gotha] 28. November, erwidert: „Le duc de Württemberg n'a pas encore quitté nos environs . . Le prince Xavier est à Kreuzburg, et ses Saxons occupent plusieurs de nos villages. M. de Stainville . . est à Langensalz avec un détachement fort proche d'ici. Nous sommes continuellement menacés d'exécution par le duc de Broglie . . . Toutes ces considérations ne nous permettent pas de nous éloigner d'ici.“

138-2 Die Herzogin hatte einen nicht mehr vorliegenden „extrait de la lettre d'Angleterre qu'un certain Schräder m'écrivit, il y a deux ans“ mit übersandt.