12748. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.273-2
Meissen, 20 mars 1761.
Mon cher Frère. Malgré toutes les bonnes nouvelles que je vous ai mandées, il ne faut pas vous imaginer que la paix soit faite. Il y a dix à parier contre un que les Français s'accommoderont encore avant l'ouverture de la campagne; je crois que l'on peut regarder de même les Suédois comme hors de jeu; je doute que les Russes veuillent prêter le collet à cette campagne prochaine : mais il faut compter que les Autrichiens, quoique manquant d'argent, seront les derniers à s'accommoder, selon leur louable coutume. Il faut donc se préparer à leur résister, et comme nous avons tenu bon jusqu'au moment présent, il faut couronner l'œuvre et ajouter encore ce bout de campagne aux cinq qui se sont écoulées. J'espère donc qu'en bon patriote vous ferez vos efforts pour contribuer à la conclusion de la paix. Je suis, d'ailleurs, persuadé que l'exercice est la meilleure médecine que les médecins vous peuvent prescrire. Je me flatte donc que vous voudrez venir ici, pour que je puisse vous expliquer de quoi il est question. Il faudra passer par Berlin et Wittenberg — le pont de Torgau n'est pas encore rétabli —, et je me fais un plaisir de vous embrasser.
<274>Pour des nouvelles, celles que je peux vous dire en peu de mots, c'est que le comte de la Lippe assiège Cassel, qu'il a presque éteint le feu des ennemis, et qu'il croit prendre en peu de jours 15 bataillons et le Broglie, ci-devant ambassadeur, qui les commande. Schenckendorff a chassé les Cercles de Schætz,274-1 pour les amuser et empêcher Hadik d'agir sur les flancs du prince Ferdinand. Les officiers autrichiens n'ont point reçu de paye depuis deux mois; l'armée manque de recrues et la cavalerie de chevaux. Faute d'argent, les hussards sont payés en monnaie de cuivre, j'en ai vu; cela les fait déserter par bande. Les magasins de Dresde, d'Aussig et Lobositz ont été emportés par l'Elbe lors de ces grandes crues,274-2 de sorte que nos ennemis en sont aux expédients.
Mes levées vont à merveille; ma nouvelle cavalerie sera en état d'opérer le 1er d'avril, et je pense que les 8 bataillons francs seront prêts à entrer en campagne un mois plus tard. J'ai fait le tour des régiments en passant par Chemnitz,274-3 et je dois vous dire à mon grand contentement que nous sommes cent fois mieux qu'on ne saurait se l'imaginer. B me manque encore 1600 hommes en tout à l'armée de Saxe;274-4 j'espère de les trouver, dussé-je les tirer des entrailles de la terre. Nos magasins sont presque achevés, les régiments exercent.
D'ailleurs, nous sommes avec les Autrichiens sur un ton de politesse et de bon procédé dont je n'ai point vu d'exemple durant toute la guerre. J'ai passé à Lichtenwalde274-5 chez la comtesse Watzdorf; elle a beaucoup parlé de vous, elle vous aurait volontiers fait faire des compliments, je vous les fais en son nom.
Je suis ici en vedette, pour examiner d'où le vent vient et quand il faudra assembler les troupes, et je me souviens du proverbe de l'empereur Auguste: Festina lente!
Adieu, mon cher frère, je souhaite d'avoir bientôt de vos nouvelles, en vous assurant de l'estime avec laquelle je suis, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur
Federic.
Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.
273-2 Prinz Heinrich befand sich im März in Glogau.
274-1 So; wohl statt Schleiz.
274-2 Vergl. S. 269.
274-3 Vergl. S. 270. 280.
274-4 Vergl. S. 272.
274-5 Nordöstl. von Chemnitz.