12817. RÉFLEXIONS SUR LES PROPOSITIONS DES FRANÇAIS ET DE LEURS ALLIÉS.
[Meissen, 12 avril 1761.]331-3
Les premiers désirs de rétablir la paix se sont manifestés de là part de la France, et l'on doit d'autant moins douter de la sincérité des intentions de cette cour qu'elle s'en est ouverte à ses alliés, lorsqu'une autre raison ne pouvait l'y porter que la nécessité de terminer la guerre et la perte entière de son crédit, qui lui ôte des ressources pécuniaires suffisantes pour pouvoir faire face aux grandes dépenses dont elle s'est chargée.
Si l'on se donne la peine de comparer les déclarations que cette cour a faites à Stockholm, et celle qui a été remise à Londres par le prince Galizin, on y apercevra une grande différence : 1° En ce que la France propose que ses alliés devaient la charger de leurs intérêts, ainsi que ceux de l'Angleterre lui devaient commettre le soin des leurs. 2° En ce que l'on proposait un armistice en général pour toutes les parties belligérantes, et que, par l'écrit délivré par le prince Galizin, il n'est question d'un armistice entre la France et l'Angleterre.
<332>C'est sur ces deux remarques que je fonde mes conjectures, et voici les choses qui me paraissent évidentes comme le jour :
1° Que la France n'a pu persuader à ses alliés de lui confier leurs intérêts respectifs.
2° Que la reine de Hongrie ne se prête qu'à contre-cœur aux vues pacifiques de la France, que peut-être même elle se flatte d'en profiter, si elle peut, par le moyen de cette négociation, détacher l'Angleterre de la Prusse.
3° Qu'en adhérant, par complaisance, à la négociation particulière de la France et de l'Angleterre, elle n'a voulu entendre parler que d'un congrès, parceque connaissant la lenteur des négociations qui se traitent de cette espèce, elle se flatte de tenter encore les hasards de cette campagne, en espérant qu'il lui arrivera quelque évènement favorable qui lui donne plus d'ascendant dans la négociation entamée.
Cette dernière conjecture me paraît d'autant plus évidente que l'Impératrice et ses alliés n'ont point proposé de suspension d'armes. Cette circonstance trahit leur secret et découvre que la tenue du congres n'est qu'une leurre pour le public, qui peut avoir en vue plus d'un objet, savoir :
1° De donner des espérances d'une prompte paix à ses sujets, pour les engager à payer plus volontiers les gros impôts qu on exige d'eux.
2° D'en imposer aux Espagnols, au cas qu'ils voulussent soutenir leurs prétentions sur l'Italie, en leur montrant une négociation entamée et prête à se conclure.
3° Peut-être pour en imposer également au Turc, au cas qu'il eut quelque dessein contre les États de la Reine. Quoique ceci ne soient que des conjectures, il est cependant certain que le fond de la chose renferme des vérités en elle.
Quant à ce qui nous concerne dans cette affaire, il me semble que, si les Anglais proposent un armistice général, que ce sera le moyen de tâter le pouls aux cours ennemies, ce qui les obligera malgré elles à dévoiler leurs secrètes intentions.
J'ai nommé les ambassadeurs pour le congrès, mais, s'il n'est précédé par une suspension d'armes, il faut regarder cet apparat comme nul de toute nullité. Par conséquent, il faut dresser les instructions des ambassadeurs à prêter simplement l'oreille aux propositions qu'on leur fera, et à les prendre ad referendum, en-déclarant qu'ils n'étaient pas autorisés à traiter sur ces points, tantôt à demander des déclarations plus recevables que celles-là; mais à ne se point déboutonner, parceque ce ne sera ni les bonnes raisons ni leur éloquence qui nous procurera une bonne paix, mais le sort des armes durant cette campagne.
Si la paix doit avoir lieu, il faut établir pour base une restitutionin integrum, telle qu'ont été nos possessions en 1756, et, pour l'obtenir, il faut mettre en avant, selon que notre manifeste le porte, que les<333> Autrichiens sont les vrais agresseurs, parcequ'ils m'ont mis dans la nécessité indispensable de l'entreprendre et, par conséquent, exiger de grands dédommagements, dont cependant on peut se désister, à mesure que la négociation avance, pour obtenir l'integrum de la restitution, en évaluant la Saxe contre la Prusse, le pays de Clèves et la comté de Glatz. Mais, comme ce congrès n'est qu'un vain appareil, puisqu'il n'est pas précédé d'une suspension d'armes, il ne nous convient d'y agir passivement.
« Mais », dira-t-on, « comment croyez-vous donc que l'on pourra parvenir à la pacification générale? » Le voici. Je regarde comme la base de ce salutaire ouvrage que l'Angleterre et la France soient entièrement d'accord sur leurs différends, et alors il faudrait que ces deux puissances, en se concertant entre elles, convinssent des préliminaires d'une paix générale; ce serait le moyen de mettre bientôt d'accord tout le monde et de terminer une bonne fois cette guerre funeste, ruineuse et cruelle pour l'Allemagne et pour toutes les parties belligérantes.
Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Das Concept war eigenhändig (vergl. Nr. 12818).
331-3 Das Datum nach der an Knyphausen gesandten Abschrift (vergl. Nr. 12816).