12822. A LA PRINCESSE AMÉLIE DE PRUSSE A MAGDEBURG.
Meissen, 15 avril336-3 1761.
Ma chère Sœur. Je suis obligé de convenir à mon grand étonnement que vos prophètes336-4 ont raison sur de certains points; quoique nos ennemis ayent proposé la tenue d'un congrès, ce n'est pas leur sérieux de travailler à la paix. Les Anglais et les Français la feront, mais certainement ce n'est pas l'intention de la cour de Vienne d'y donner les mains; nous allons donc encore faire cette sixième campagne. Si quelque puissance nous soulage par une diversion, ce ne peut être que l'Espagne, et même il y a quelque apparence que la chose puisse arriver.
Pour ces batailles dont vos prophètes sont si prodigues, j'avoue<337> que je ne crois pas qu'on pourra les éviter; mais à savoir quelle en sera l'issue, c'est ce que je n'ose prédire, et je crois que, vu notre grande infériorité du nombre et la mauvaise composition des troupes, nous y courrons un double risque: ainsi je veux bien croire que nous aurons deux batailles, mais je n'ose affirmer que nous en gagnerons une. Voici donc principalement en quoi je diffère de vos prophètes : ils croient que je serai heureux, et je suis d'opinion que jamais nous n'avons eu de plus grands risques et dé plus grands hasards à courir que cette campagne.
Je n'ai certainement pour le présent d'autre projet que celui de me défendre et d'empêcher nos ennemis de me faire le mal qu'ils méditent, c'est donc à savoir si je pourrai y réussir ou si j'y succomberai. Voilà, ma chère sœur, le véritable tableau de notre situation : il n'est pas du Watteau, mais de l'Espagnol qui avait le colorit noir et qui ne peignait que des sujets lugubres.
Toutes ces réflexions ne vous réjouiront pas, ma chère sœur, mais je crois qu'il faut vous préparer d'avance à vous revêtir de votre impassibilité stoïque dont vous aurez sûrement souvent besoin durant cette campagne.
Si vous savez quelque chose de consolant à m'apprendre, je vous prie de me le communiquer, car, véritablement, j'ai besoin d'un bon confortatif. Soyez persuadée de la tendresse avec laquelle je suis, ma chère sœur, votre fidèle frère et serviteur
Federic.
Nach der Ausfertigung im Königl. Hausarchiv zu Berlin. Eigenhändig.
336-3 Der Konig macht am 15. April den Gesandten von Borcke darauf aufmerksam, „qu'il ne faut que votre zèle vous emporte, en dressant vos rapports [à] moi, jusqu'à y mettre des termes injurieux de qui que ce soit, usés du vulgaire et entre des gens du commun, comme vous l'avez fait dans celui du 4 de ce mois. Voilà pourquoi je veux qu'en dressant dorénavant vos rapports, vous songiez bien aux expressions et, ensuite, que [vous] minutiez vos dépêches avec ordre et netteté, et que vous vous serviez de phrases polies et du tout décentes envers moi, et de façon qu'il faut qu'on s'explique à son maître, en termes polis. Tâchez, avec cela, d'éviter la confusion et les redites, et ne me faites plus des compliments verbeux en chiffres.“ -
336-4 Vergl. Bd. XVIII, 654.