12967. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.
Kunzendorf, 19 juin 1761.
J'ai reçu votre lettre du 15 de ce mois, et ne saurais qu'être très sensible à la façon amiable et sincère dont vous vous expliquez envers moi. Je vous l'ai dit, et je vous le répète encore que, si nos ennemis font des efforts communs contre nous, qu'il nous sera presque impossible d'y résister. Nous manquons précisément d'une armée encore, et celles que nous avons, sont réduites de se tourner soit d'un côté soit de l'autre. Les Russes se tiennent encore tranquilles à Posen et aux environs, on prétend qu'ils veulent commencer leurs opérations par le siège de Colberg; ils n'y trouveront pas une besogne si facile qu'ils se l'imaginent. Pour moi, je ne suis [lié] à rien ici, je puis me tourner à droite et à gauche, selon que le cas l'exige; mais il ne me faut rien précipiter. Il est sûr qu'ayant tant d'armées ennemies sur le corps, qu'il ne me reste que de faire battre celle qui s'aventurera la première, et de me tourner alors vers le plus pressant. Si Daun marche du côté de Lauban, il vous sera très facile de détacher contre le prince Xavier, afin de le battre ou de le rechasser au plus vite et de vous tourner alors du côté où il sera le plus nécessaire. Vous voyez par là, mon cher frère, la nécessité qu'il y a et qui nous force à nous battre pour nous débarrasser d'un ennemi et pour pouvoir accourir d'un autre côté.
Ceux qui vous ont dit que Magdeburg est mal pourvu, sont des ignorants ou des imbéciles; il s'y trouve des munitions de guerre et de bouche en quantité, et si l'on était obligé d'évacuer Leipzig, cette garnison pourrait renforcer celle de Magdeburg. Le duc de Brunswick a peur de sa ville — je connais ses appréhensions —, et c est certainement la source des nouvelles effrayantes qu'il vous a données.463-1
Le sieur de Bussy est arrivé à Londres, et il faut espérer que sa négociation aura une bonne fin.
Quant à ce que vous supposez du mouvement des Russes à Francfort et de la marche du maréchal Daun à Lauban, je crois que, dans ce cas, vous pourrez vous approcher de Torgau, où vous serez à portée de courir au plus pressé, soit contre le prince Xavier ou contre les Russes, et si, dans ce cas, je contiens Daun et Laudon, ce sera tout ce que je saurais faire.
Je n'apprends point encore qu'il [y] ait des magasins établis à Marklissa; il en faut nécessairement de ce côté, si le maréchal Daun y veut aller avec son armée. J'attends aux premiers jours des nouvelles<464> interessantes; dès que je les aurai, je vous les communiquerai; mais je vous avoue que, de quelque côté qu'on envisage ma situation, elle est également difficile et épineuse.
J'ai été souvent importuné par les officiers autrichiens prisonniers de guerre, dont l'un veut aller d'un côté, un autre de l'autre. Je leur ai fait défendre de m'écrire pendant toute cette campagne, et je n'aurai pas plus de politesse pour eux, que les Autrichiens n'en ont pour mes gens, lesquels, s'ils veulent voyager aux bains ou autres lieux, sont refusés; et il n'y a d'autre parti à prendre avec ces gens que celui de les refuser à leur tour.
Postscript an den Brief von meinen Bruder.
Chiffer!
On assure que l'armée russe est forte de 55 000 hommes, dont 14000 marchent à Colberg. Il faut qu'ils laissent le corps de Galizin contre Goltz, ce corps fait 15 ou 16000. Il ne leur reste donc que 26000 hommes, et, dès qu'ils vous sauront à portée, ils n'auront pas le cœur d'agir; ou, si le corps de Galizin se joint à eux, Goltze peut vous joindre ou même tomber sur leurs magasins [et] les leur enlever : ce qui finit toutes leurs opérations et les oblige incessamment de rebrousser chemin. Voilà des idées. Je vous recommande cependant de donner premièrement un coup de patte au prince Xavier, avant de vous tourner contre les Russes; car, si vous ne l'écartez des premiers, il pourrait, dans la suite, vous causer les plus grands embarras.
On ne peut dire sur les desseins des ennemis que des choses vagues, à cause qu'il faudrait savoir exactement le temps où chacun commence ses marches et ses expéditions; alors on peut calculer le temps qu'il faut employer pour se débarrasser de l'un ou de l'autre. Si le projet de nos ennemis se trouve tel que vous me le marquez,464-1 il faudra nécessairement que vous ferraillez, soit avec le prince Xavier soit avec le corps que Daun laissera en Saxe, ou bien avec les Russes ; car si, lorsque vous le pouvez, vous ne vous débarrassez pas de l'un d'eux, ils s'approcheront insensiblement, et, à la fin, vous serez environné par eux.
J'attends le juif464-2 la semaine qui vient.
Federic.
Das Hauptschreiben nach der Ausfertigung. Das Postscriptum nach dem eigenhändigen Concept.
463-1 Der Herzog von Braunschweig hatte dem Prinzen nach dessen Bericht geschrieben, „que le maréchal Broglie pénétrera dans le Halberstadt jusqu'à Magdeburg. Ce maréchal était attendu à Cassel, et les Français doivent s'être mis en mouvement. Le corps des Saxons sous le prince Xavier marchera sur Langensalze. Magdeburg est assez mal pourvue . ., tout y manque et, si la place se trouve exposée, elle court de grands risques.“
464-1 Vergl. Nr. 12968.
464-2 Vergl, S. 459.