1390. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Potsdam, II avril 1744.

J'étais sur le point d'accuser vos deux relations du 28 et du 30 du mois de mars, lorsque le courrier m'a bien apporté celle que vous m'avez faite en date du 4 de ce mois, et je ne veux pas douter qu'à l'heure qu'il est vous n'ayez reçu la dépêche dont j'ai chargé le jeune comte de Blinau à son retour, de même que celle avec les pleins-pouvoirs pour signer le traité de l'union confédérale. Vous ne manquerez pas de m'informer sur tout ce qui se sera passé à ce sujet, et de la manière dont la cour impériale se prendra pour faire signer ce traité par l'Électeur palatin et le prince Guillaume de Hesse. J'approuve fort la manière dont vous vous êtes pris sur l'article des convenances à me faire, et que vous ayez choisi le comte de Seckendorff, préférablement au sieur de Chavigny, pour faire parvenir à l'Empereur mes intentions sur ce sujet. Je suis d'autant plus satisfait de votre procédé que par là et par les réflexions particulières auxquelles vous vous êtes tenu, vous avez effectué qu'on se soit expliqué le premier, et que vous les avez vu venir, sans que j'y ai été commis en aucune manière.

Cependant, comme j'ai vu, par le mémoire que le sieur de Chavigny vous a envoyé, et dont vous m'envoyez l'original, de quelle manière celui-ci s'est expliqué sur les convenances qu'on me veut faire, de même que sur les points fondamentaux de l'union qu'on désire, il faut que je m'explique à mon tour là-dessus, savoir

1° Que, quant à l'article des cessions que l'Empereur me fera en Bohême, j'ai cru nécessaire de vous envoyer la carte ci-close, dans laquelle j'ai marqué de ma main propre, par la ligne que j'ai tirée, les cessions que je demande, après le cercle de Königgrätz, des cercles de Bunzlau et de Leitmeritz. Sur quoi vous remarquerez que tout ce qui est, depuis Grulich jusqu'à Königgrätz, en deçà de la ligne, fera ma convenance, et que, depuis Königgrätz jusqu'aux confins de la Saxe, le cours de l'Elbe fera ma barrière, ainsi que tout ce qui est de l'autre côté de l'Elbe, restera à l'Empereur, quand même ce seraient des dépendances du cercle de Königgrätz ou de Bunzlau, hormis les villes de Pardubitz et de Kolin, qu'il faut me céder encore, et dont je ne puis me passer. De cette manière, il n'y aura à craindre ni contesta<90>tions ni mélange de domination, et j'espère que les États de Bohême ne s'y opposeront pas plus qu'ils ne l'ont fait lorsque la reine de Hongrie me céda la Silésie avec le comté de Glatz ; aussi, si l'opposition des États de Bohême doit être comptée pour quelque chose, il sera fort à craindre que l'Empereur n'ait jamais de la Bohême ni en tout ni en partie.

2° Que vous pourriez bien chipoter encore sur la cession des villes de Kuttenberg, Czaslau, Chrudim et Hohenmauth, mais que, s'il n'y a pas moyen de les obtenir de bonne grâce, vous laisserez tomber cette affaire.

3° Qu'au moyen de ces cessions, je me chargerai de faire l'expédition de la conquête de la Bohême et de mettre Sa Majesté Impériale en possession de cette couronne, et la lui garantirai, bien entendu toujours que Sa dite Majesté me garantisse réciproquement toutes mes conquêtes sur la maison d'Autriche,

4° de même que la partie de la Haute - Silésie que la reine de Hongrie a gardée par le traité de Breslau, que je tâcherai d'ajouter à mes conquêtes.

5° Que, quant aux ro,ooo hommes de mes troupes que je dois joindre à l'armée de l'Empereur pour faire la conquête de la Haute-Autriche, il faut que je vous dise qu'il m'est impossible de m'y prêter, par les considérations suivantes, savoir que je serai obligé d'agir avec une puissante armée en Bohême et avec un autre corps en Moravie, et qu'il me faudra garder ce qui me reste de troupes tant pour couvrir mes pays de toute insulte, que principalement pour tenir la Saxe en respect ; qu'au reste, je n'envie point à l'Empereur qu'il devienne maître de la Haute-Autriche, qu'au contraire, notre convention faite, j'y contribuerai de tout mon possible, mais que je ne saurais stipuler expressément quelque chose là-dessus ni y opérer directement, ne me voulant charger de rien de plus que de la conquête de la Bohême ; aussi est-ce dans ce sens que je vous ai instruit dans ma dépêche du 24 du mois passé.

A l'égard de la sécularisation des deux évêchés, je me conforme tout-à-fait aux sentiments de l'Empereur, et trouve très bien pensé qu'on ne touche pas cette corde, pour ne pas alarmer les Catholiques.

Après vous avoir donc expliqué tout ce que j'ai cru nécessaire pour votre instruction à ce sujet, et dont vous ne manquerez pas de faire un bon usage, je veux bien vous dire encore que, quoique j'aie déclaré même au comte de Seckendorff que les articles secrets de notre traité ne sauraient être signés de moi que lorsque j'aurai vu les Français opérer avec vigueur, et lorsque j'aurai fait mes affaires avec la Russie et la Suède, je crois néanmoins qu'aussitôt que l'Empereur se sera déclaré finalement sur tout ce que dessus, vous pourriez commencer d'abord à faire coucher le projet des articles secrets et me l'envoyer, afin que je puisse ou les agréer, ou m'expliquer sur ce que j'aurai à y remarquer encore.

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J'espère que pendant ce temps-là mon alliance avec la Russie sera venue à sa maturité, et que je pourrai alors vous envoyer les pleinspouvoirs nécessaires pour signer ces articles secrets. Vous n'oublierez point que, lorsqu'on couchera ces articles, vous serez bien attentif qu'il ne s'y glisse pas d'équivoques ou de mots à double sens, mais qu'on s'y explique d'une manière claire et nette pour obvier à tout sujet de contestation et de chicanes.

Sur ce qui est de l'électeur de Cologne, je suis toujours d'opinion qu'il est fort nécessaire qu'on ait toute l'attention possible pour lui, afin qu'il ne se laisse point entraîner dans le parti contraire, quoiqu'il faille absolument lui faire un secret de notre affaire.

Au reste, j'ai été surpris de voir ce que le général Donop vous a voulu dire en confiance sur les sentiments du prince Guillaume, au sujet des 12,000 hommes de troupes étrangères de France qui doivent joindre l'armée de l'Empereur, chose que je crois pourtant si nécessaire que, si la France n'avait fait cette offre d'elle-même à l'Empereur, j'aurais été obligé de solliciter moi-même la France là-dessus. Et, sur cela, je prie Dieu etc.

Federic.

P. S.

Comme vous trouverez deux lignes marquées dans la carte ci-jointe, il faut que je vous dise pour votre instruction que la première ligne, qui commence depuis Wildenschwert et va jusqu'à Kolin, est proprement cette langue de pays sur laquelle je vous ai dit que vous deviez chipoter encore, pour voir si on veut se prêter de me la céder contre une cession de mes droits sur la succession d'Ostfrise, pour contenter l'Électeur palatin pour la cession du Haut-Palatinat à l'Empereur. Mais, en cas que vous voyiez qu'on ne veut point s'y prêter de bonne grâce, la seconde ligne, qui commence aux environs de Grulich et va jusqu'aux limites de la Saxe, est l'ultimatum de ce qu'on doit me céder, la ville de Kolin et la seigneurie de Pardubitz y comprises.

Nach der Ausfertigung.