1399. AU MARÉCHAL COMTE DE SECKENDORFF A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Potsdam, 20 avril 1744.

Monsieur. La lettre que vous m'avez écrite en date du 7 de ce mois, m'a été bien rendue, et je ne puis que vous remercier de la manière cordiale avec laquelle vous vous expliquez sur tous les points que je vous ai écrits dans ma précédente. Aussi continuerai-je de vous répondre de la même manière sur tous les points que vous me marquez dans votre lettre. Je ne saurais vous dire de quelle manière j'ai été réjoui, lorsque j'ai appris, par une lettre que le prince Guillaume de Hesse vient de m'écrire lui-même, qu'après être revenu des frayeurs qu'il a eues par rapport à l'Angleterre, il était à présent tout prêt à entrer dans des liaisons des plus étroites pour le soutien de l'Empire et de Sa Majesté Impériale. Et après des preuves si éclatantes que celles qu'il vient de donner, j'ai tout lieu de croire qu'il se rangera à présent tout-à-fait du bon côté.

Quant à l'article des convenances que le sieur de Klinggraeffen a demandées pour moi, je ne veux point ici entrer dans des détails làdessus, me remettant à ce sujet aux ordres que je viens de donner audit Klinggraeffen, qui sont tels que j'ai tout lieu de croire que Sa Majesté Impériale sera contente de ma modération et qu'elle se verra même par là prévenue à ce qu'elle peut désirer de moi. Tout ce dontj e veux vous prier à ce sujet, c'est de considérer mûrement la grandeur de l'entreprise, lorsque je me mêlerai à force ouverte du rétablissement des affaires de l'Empereur, les dépenses que je serai obligé de soutenir, avec les hasards et les risques infinis que je cours par des événements qui pourraient arriver ; et je suis persuadé alors de votre pénétration que vous trouverez vous-même que les convenances qu'on veut me faire, sont véritablement assez minces à proportion de tout ce que dessus.

Sur ce qui regarde l'article par rapport au plan d'opération, il faut que je vous dise que je souhaiterais de bon cœur d'être en état de commencer mes opérations avant le mois d'août ; mais, comme il y a des obstacles invincibles qui m'en empêchent, j'espère que vous vous contenterez de ce qui est possible. Vous savez, Monsieur, que dès le commencement que j'ai pris la résolution de prendre des mesures vi<99>goureuses pour les intérêts de l'Empereur, j'ai mis pour conditions préalables, que la France devait opérer vigoureusement et que mes affaires devaient être faites avec la Russie et la Suède. Quant à la première, il est vrai que la France fait à présent toutes les démonstrations de vouloir agir offensivement et avec vigueur; je ne doute pas même qu'elle n'y aille tout de bon; mais jusqu'à présent nous n'en avons rien vu, et comme nous sommes sur le point de voir commencer les opérations, il faudra voir de quelle manière elles se développeront.

Touchant la Russie et la Suède, il est vrai que j'ai tout sujet d'espérer que mes affaires y prendront un bon train ; mais comme la dernière ne peut rien faire sans la Russie, et que plusieurs incidents ont empêché jusqu'à présent que mon alliance avec celle-ci n'a pas pu parvenir encore à sa maturité, pour ne pas parler de la nécessité qu'il y a d'éloigner auparavant le vice-chancelier Bestushew du maniement des affaires, puisqu'aussi longtemps que cet homme, vendu qu'il est au parti anglais et autrichien, sera en place, je ne viendrai jamais à bout, ni pourrai compter sur l'amitié de la Russie — toutes ces circonstances, dis-je, ont empêché que je n'ai pas pu achever mes affaires avec la Russie; ce qui me faut pourtant absolument, avant que je puisse entrer en jeu, tant pour n'avoir rien à craindre de ce côté-la, que pour pouvoir brider la Saxe par la Russie. Clairvoyant que je vous connais, Monsieur, vous savez que toutes les affaires qu'on précipite ne valent rien, et qu'il faut les laisser parvenir à un certain point de maturité, pour agir alors avec d'autant plus de liberté et de succès. Outre cela, je vous prie de considérer s'il est possible que je puisse entrer avec une armée dans un pays ennemi, sans avoir des magasins et sans en pouvoir faire, et s'il n'est donc pas de toute nécessité d'attendre le temps où on puisse fourrager et où l'on trouve les greniers remplis. Ainsi, bon gré mal gré que j'en aie, il me faut absolument attendre un temps où je puisse subsister, pour pousser alors mes opérations avec d'autant plus de vigueur et de force.

Tout cela ne peut point empêcher que les Français ne commencent à agir avec vigueur; au contraire, il sera d'autant plus nécessaire qu'ils ouvrent la campagne, pour voir ce que les Autrichiens feront alors en contre, et quelles mesures ceux-ci prendront; ce que je crois être en état de pouvoir vous dire d'avance, car, selon mon opinion, ou ils marcheront de bonne heure vers Fribourg, pour soutenir cette forteresse, ou ils marcheront vers Mayence, y passeront le Rhin et tâcheront d'entrer du côté de Luxembourg dans la France, pour obliger les Français par une pareille diversion de lever le siège de Fribourg, ce dont le temps nous éclaircira. La chose la plus principale que j'ai à vous re commander, pendant ces entrefaites, est que vous deviez tâcher de prendre un poste bien sûr auprès de Philipsbourg ; car, entre nous, il faut que je vous dise que, si j'étais du parti autrichien, mon jeu serait de vous aller, devant toute chose, sur le corps, de vous combattre et de <100>tâcher de disperser l'armée impériale. Voilà de quelle manière j'envisage le commencement de la campagne qui va s'ouvrir. Pour revenir à moi, je vous dirai que, si mes affaires tournent de la manière que je puisse agir, il faudra préalablement 1° que les Français agissent avec vigueur dans les Pays-Bas autrichiens, d'un côté ou d'autre, selon qu'ils le trouveront à propos ; 2° que leur armée dans le Brisgau prenne Fribourg et tienne alors bonne contenance jusqu'à ce que je commence mes opérations ; et 3° qu'incontinent après, quand mes opérations seront commencées, l'armée française avec celle de l'Empereur marche alors vers le Haut-Palatinat et la Bavière, pour s'en emparer convenablement, pendant le temps que je serais aux prises avec les Autrichiens.

Touchant la Bohême, je suis charmé de la confiance que Sa Majesté Impériale me témoigne, que, sans me vouloir lier les mains ni prétendre que mon armée soit privée du nécessaire, elle est persuadée que je traiterai ce pays alors comme un pays que je veux conquérir pour elle. Aussi n'y sera-t-elle pas démentie. Néanmoins, il y faut deux événements, savoir que notre affaire se pourra finir par une seule campagne, et alors l'Empereur aura la Bohême dans un bon état; mais s'il arrivait que la guerre ne se finît pas si tôt, et qu'on fût obligé de faire deux, trois ou quatre campagnes de suite, je vous laisse juger, en général expérimenté, si le pays ne s'en ressentirait point alors, et s'il serait possible d'en éviter la ruine. J'ai trouvé moi-même la différence qu'il y a d'un pays qui n'a eu qu'une campagne, d'avec celui qui a été obligé d'en supporter deux, lorsque je considère l'état de la Basse-Silésie contre celui de la Haute-Silésie, et plût à Dieu que nous ne voyions pas la triste expérience dans la Bavière, pays que je plains d'autant plus que je crains que, quand les Autrichiens se verront obligés de le quitter, ils ne tâchent encore de le ruiner de feu et de flammes.

Au reste, d'abord que le bon Dieu aura prospéré mes armes, de la manière que je serai maître de la capitale de la Bohême, il n'y aura nulle contestation que l'Empereur n'en soit mis en possession pour s'y pouvoir faire couronner; il dépendra même alors du bon plaisir de Sa Majesté Impériale si elle y voudra mettre en garnison son régiment des gardes, quoique je sois d'opinion que Sa Majesté Impériale se pourrait servir alors encore plus utilement dudit régiment auprès de son armée.

Je ne veux plus vous fatiguer par une lettre plus longue, pour vous parler encore du traité d'union confédérale, puisque vous saurez déjà que mes pleins-pouvoirs sont envoyés au sieur de Klinggærffen pour le signer et pour me l'envoyer alors à ma ratification. Aussi ne me restet-il que de vous assurer des sentiments d'estime avec lesquels je suis, Monsieur, votre très affectionné ami

Federic.

Nach dem Concept.

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