1621. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.
Quartier général de Pischeli, 29 octobre 1744.
Comme il m'intéresse extrêmement d'être bien au fait des sentiments de l'impératrice de Russie et de sa cour sur l'état présent des affaires, ma volonté est que vous me deviez mander au plus tôt possible, par une estaffette ou un courrier, ce que vous pensez sur les articles suivants, savoir:
1° Ce que j'ai à craindre ou à espérer de la cour de Russie dans l'état présent et critique des affaires;
2° En cas que les intrigues du parti anglais, saxon et autrichien prévalussent à la cour où vous êtes, si cette cour a la volonté d'assister réellement et avec ses forces le parti nommé, et si l'intérieur des affaires de la Russie et l'état des ses finances et de son armée permettent à cette cour de le faire actuellement, et à combien ce secours pourrait aller;
3° Mais en cas que la véritable intention de l'Impératrice et de la cour de Russie ne fût point d'assister de ses forces ou de donner du secours au roi d'Angleterre ou à celui de Pologne, ce que vous croyez alors que l'Impératrice pourrait faire pour moi, et s'il ne serait pas possible de l'amener au point qu'elle voulût faire faire des remontrances sérieuses à la cour de Saxe, pour qu'elle retirât ce corps de troupes qu'elle a envoyé en Bohême au secours de la reine de Hongrie ; ce que l'Impératrice serait d'autant plus en droit à faire qu'il y a bien de l'incongruité de la part de la Saxe de secourir de ses troupes une princesse qui, témoin l'affaire de Botta, a fait voir tant de mauvaise volonté contre la souveraine de Russie et qui a traîné et refusé opiniâtrement de donner quelque satisfaction tant à la Russie qu'à moi, par rapport au procédé de son ministre Botta;
4° La Saxe m'assaillant véritablement, par l'envoi de ses troupes en Bohême et par tant d'autres machinations qu'elle trame partout <313>contre moi, de quel œil l'Impératrice le regarderait, si à la fin je me voyais forcé ou d'agir hostilement contre la Saxe, pour me défendre de ses injustes entreprises, ou d'envoyer un corps de mes troupes en Saxe, pour obliger cette cour de retirer ses troupes de l'armée autrichienne et de ne pas se mêler de la guerre présente contre la maison d'Autriche; et, ce cas posé, ce que l'Impératrice ferait, et si elle voudra et pourra alors soutenir la cour de Saxe et envoyer des troupes contre moi;
5° S'il n'y a pas moyen de disposer l'Impératrice de se charger de la médiation entre les parties belligérantes en Allemagne, pour ramener cet hiver la paix dans l'Empire.
J'attends votre réponse détaillée sur chacun de ces points, au plus tôt possible, mais je vous ordonne absolument que vous me la fassiez de la manière la plus naturelle, et selon les véritables sentiments de la cour où vous êtes, sans me cacher, colorer ou dissimuler la moindre chose, et vous conviendrez vous-même de la nécessité qu'il y a que vous vous expliquiez rondement et d'après nature sur tous ces points, puisque c'est là-dessus que je règlerai mon système et mes mesures.
P. S.
Venant de recevoir vos relations du 28 du mois dernier et du 1er d'octobre, j'ai été charmé de voir les assurances que vous me faites de ce que je n'ai absolument rien à craindre de l'Impératrice, ni dans cette année, ni même peut-être dans celle qui vient. J'attends les nouvelles que vous me manderez par le courrier qui doit être actuellement en chemin. J'espère que vous aurez trouvé moyen de gagner tout-à-fait pour moi l'ami d'importance, par la libéralité que je vous ai autorisé de faire. Quant à la demande que vous croyez que les États de Courlande pourraient bien faire pour avoir le prince de Zerbst pour duc, je ne sais pas si pareil arrangement fera beaucoup de plaisir à ce Prince, qui naturellement aime la tranquillité, et qui par cet événement se verrait mêlé de bien des affaires et des inquiétudes, pour ne pas parler de ce qu'il serait par là obligé de s'éloigner tout-à-fait de son pays héréditaire, pour lequel il a pourtant beaucoup de tendresse. Mais en cas que vous voyiez que, nonobstant toutes ces considérations, les apparences étaient que ledit prince pourrait devenir duc de Courlande, je suis du sentiment qu'au lieu de n'en rien toucher à la Princesse son épouse, vous feriez mieux de vous faire un mérite auprès d'elle d'un pareil arrangement et de faire semblant comme si c'était venu de vous ; ce que je remets pourtant à votre discernement, vous recommandant au reste de faire tout ce qui est humainement possible pour me conserver l'amitié de cette Princesse.
Federic.
Nach dem Concept.
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