1622. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Quartier général de Pischeli, 30 octobre 1744.

J'ai reçu votre lettre du 2ode ce mois. Je suis tout-à-fait de votre sentiment qu'il faudra faire un dernier effort pour faire revenir la Saxe, soit en lui offrant, par le ministre de France, des conditions avantageuses, soit par des remontrances sérieuses que l'Impératrice lui ferait pour retirer ses troupes de Bohême, si tant est que l'Impératrice y serait à disposer, sur quoi il faut que Mardefeld travaille de toutes ses forces. En attendant, vous ne devez pas croire que j'agirais si inconsidérément de faire tomber le poids de mon ressentiment sur le pays saxon, aussi longtemps que la Russie ne se déclare pas contre nous. Je voudrais pourtant que les Saxons eussent la peur que l'on pourrait tomber sur leur pays, si on le voulait. Ce que vous me dites sur les troupes saxonnes, savoir de les attaquer partout où on les trouverait, n'est pas si aisé à faire que vous le croyez, puisque, outre qu'ils se sont joints actuellement à l'armée autrichienne, ce pays, plein de bois, montagnes et vallées, ne permet point de faire ce qu'on veut, comme j'ai eu un exemple d'assez fraîche date. Mais, aussi, si les circonstances permettent jamais de faire un coup sur les troupes saxonnes, elles ne seront point ménagées.

Vous verrez, par la feuille ci-close,314-1 ce qui s'est passé ici. Quant aux nouvelles politiques que j'ai eues, par les relations de mes ministres, 'en suis assez satisfait, surtout de celles de Mardefeld, Podewils et Andrié. Selon moi, je trouve que les esprits sont assez disposés à une paix, et je crois qu'on pourrait bien parvenir cet hiver à une pacification, sinon générale, au moins en Allemagne. Comme j'y suis assez disposé moi-même, je souhaiterais que vous pensiez mûrement sur la manière qu'il faudrait se prendre pour arriver à un but si salutaire. Il est sûr qu'il y faut parvenir un jour, et je vois que, plus la guerre durera en Allemagne, plus les pays saxons, hanovriens, avec les autres, et les miens mêmes, seront exposés à être entre-ruinés; et, au bout du compte, on sera pourtant obligé de revenir à la même chose où on peut parvenir à l'heure qu'il est. Pour donc prévenir tant de maux, il faudra, selon moi, travailler à une pacification où chacune des parties belligérantes remît quelque chose de ses prétentions.

Voilà mon idée en gros: c'est à vous à penser sur les préliminaires d'une telle pacification, et sur la manière dont il faudra se prendre pour en faire l'ouverture aux parties belligérantes. S'il y avait moyen d'avoir des médiateurs, par exemple l'impératrice de Russie, la Hollande, ou la Suède, cette affaire trouverait d'autant moins d'obstacle. Sur quoi vous penserez bien mûrement, et je laisse à votre considération si on ne pourrait sonder là-dessus le sieur Rudenschöld, ou d'autres, quoique d'une <315>manière bien adroite, et sans se découvrir trop là-dessus. Vous me manderez vos sentiments d'une manière naturelle.

Quant à votre neveu à la Haye, vous l'instruirez qu'il continue à donner, là où il faut, des assurances de mes inclinations pour le rétablisse ment d'une bonne paix; que tous mes arrangements n'avaient point d'autre but, et que j'y contribuerais du meilleur de mon âme, s'ils se trouvait des moyens d'y parvenir ; mais que, comme la manœuvre que les Saxons venaient de faire, par la marche de leurs troupes en Bohême, rendait la reine de Hongrie encore plus inflexible qu'elle l'a été, et reculait par conséquent la paix, je serais fort surpris, si les États - Généraux voulaient accorder des subsides aux Saxons, ce qui ne pourrait avoir autre effet que de nourrir le feu de la guerre. Vous instruirez de même le sieur Andrié, pour qu'il donne des assurances les plus fortes à tous ses amis, et partout où il le croira convenable, que mon unique but est de ramener une paix stable en Allemagne ; que je ne me mêlerai jamais des autres différents, mais que toutes mes manœuvres et opérations ne visent qu'à une prompte pacification dans l'Empire ; que, par cette raison, je suis fort étonné que la nation anglaise, qui, selon moi, n'aspire qu'au même but, pense pourtant de faire tout le contraire.

Pour ce qui est du comte de Beess, il faut qu'il se tienne présentement clos et boutonné, en protestant toujours de la bonne intention que j'avais eue pour le roi de Pologne, de resserrer avec lui des liens d'une amitié inaltérable; que lui, Beess, y avait travaillé de son mieux, mais que ce n'était pas sa faute s'il n'y avait pas réussi à son souhait: ce qu'il faudra finir par des haussements des épaules et par des paroles bien vagues, pour donner seulement à penser aux ministres saxons sur les suites que leur entreprise pourrait avoir.

Au reste, la dépêche ci-close sous cachet volant au sieur Mardefeld vous instruira de ce que je viens de lui écrire, et vous ne manquerez pas de la lui envoyer, dès que vous en aurez pris copie pour votre information. Sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



314-1 Lettre d'un officier prussien, du camp de Pischeli, 27 octobre 1744; bei Droysen, Kriegsberichte, Beiheft zum Militärwochenblatt 1877, Nr. 3. 4. S. 100.