<148>fels est à l'armée, le chevalier de Saxe aussi, le prince Charles y est depuis huit jours passés, tout cela ne sont point de dispositions pacifiques. Ainsi, il faut s'attendre de jour à l'autre à une irruption. Par la connaissance du pays que j'ai, et par la disposition des magasins, je puis juger que les Autrichiens ne peuvent pénétrer en Silésie que par la Lusace, et, quoi qu'ils fassent, mes dispositions sont faites pour tous les cas. Nous n'avons d'autre ressource que dans la décision d'une action générale. Les ennemis ne la sauraient éviter ici, et mon année est dans une bonne disposition. J'ai remonté l'esprit de tous mes officiers sur le ton que je puis désirer, je leur ai inspiré de la gaîté et de la confiance, et nous ferons tous notre devoir et scellerons de notre sang que les ennemis se méprennent, s'ils pensent qu'ils nous peuvent traiter avec indignité ou nous faire commettre une action qui blesse l'honneur de l'État et l'honneur de chacun de nous en particulier.' Mes dispositions' restent, d'ailleurs, telles que je vous les ai détaillées en dernier lieu, tant de ce côté que de celui de Magdebourg. N'oubliez point d'envoyer cette lettre que je vous ai tant recommandée en France, dès que vous serez éclairci de ce qui se passe en Angleterre.
Je ne trouve point à propos de faire pour le présent de démarches ultérieures à Dresde pour nous rapprocher, puisque je les juge inutiles et qu'on pourrait les imputer à la timidité que leurs arrangements nous inspirent. Voyez d'ailleurs le peu d'apparence que nous pouvons avoir de faire quelque impression sur l'esprit d'une cour vendue à nos ennemis, et qui dans les premiers délires de sa fièvre chaude n'a pas le pouvoir de marquer de la docilité aux conseils de la raison et aux voies de conciliation qu'on pourrait lui suggérer. Cette haine, cette fureur, cette jalousie que nous avons depuis longtemps vu que cette cour avait contre moi, était un feu qui couvait sous les cendres, mais qui va devenir un incendie et un embrasement général depuis qu'on s'imagine à Dresde d'avoir gagné une supériorité sur moi, par ma retraite de Bohême. Si un orgueil démesuré, et qui se déborde de tous les côtés comme un torrent, est un de ces signes certains qui sont comme les avant-coureurs de la chute des empires,1 nous avons grand lieu d'espérer que c'est ici l'époque d'humiliations et de la reine de Hongrie et des Saxons. Mais ne pénétrons point dans l'avenir, parlons par nos actions et laissons au temps et au destin — s'il y en a un — à débrouiller le cahos de ces matières.
Je vous envoie ci-joint une lettre à cachet volant pour la Reine douairière, que vous lui insinuerez en temps et lieu.2
Je crois que vous vous étonnez de me voir si tranquille, dans la crise la plus violente où j'aie été de ma vie. Je vous réponds à cela que j'ai été obligé de gagner beaucoup sur moi, avant que de me procurer cette impassibilité. Si l'on veut conserver cette liberté d'esprit
1 Vergl. Racine Athalie, Act I, Scene 2.
2 Siehe Œuvres XXVI, 70.