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1760. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Neisse, 26 mars 1745.

J'ai reçu la relation que vous m'avez faite, en date du 6 de ce mois. Bien que le Vice-Chancelier vous ait conjuré d'être persuadé que, si la Saxe ou quelque autre puissance m'attaquait dans mes États, l'Impératrice m'assisterait infailliblement, je viens de recevoir pourtant des nouvelles de Dresde, de mon ministre y résidant, le comte de Beess, par lesquelles il m'apprend, comme vous verrez par la copie ci-close de sa relation, que la Saxe traite actuellement avec les cours de Vienne et de Londres pour venir m'attaquer de toutes ses forces dans la Basse-Silésie. Comme il m'a paru nécessaire de faire part de cette circonstance à l'Impératrice même, par une lettre écrite de ma main propre, je vous l'adresse ci-closse sous un cachet volant, afin que vous en fassiez un usage convenable à mes intérêts.

Outre cela, ledit ministre vient de me mander qu'ayant demandé au comte de Bestushew à Dresde si sa cour l'avait chargé d'insinuer à celle de Dresde que l'impératrice de Russie verrait avec plaisir que les troupes auxiliaires saxonnes n'agissent point contre mes États, et qu'au contraire la bonne harmonie fût bientôt rétablie entre les deux cours dont elle était également amie et alliée, ou si cette insinuation s'était faite à Pétersbourg au ministre saxon — ledit comte de Bestushew lui avait répondu tout naturellement que sa cour ne lui avait donné aucun ordre de faire une pareille insinuation à celle de Dresde, et qu'il ignorait aussi qu'on l'eût faite par quelque autre canal.

Mon intention est donc que vous deviez en parler aux ministres russiens et surtout au Vice-Chancelier, en lui témoignant combien j'étais surpris de ce qu'on avait manqué de parole, ou oublié du moins de faire ladite insinuation à la cour de Dresde, qu'on m'avait pourtant promis de faire avec tant d'assurances, et que j'espérais qu'on s'en acquitterait encore; que je ne savais que penser de la résolution que la cour de Dresde paraissait avoir prise de venir m'attaquer par ses troupes dans ma Silésie, étant assez connu que la cour de Dresde ne s'émanciperait jamais d'entrer dans de pareils concerts, si elle n'était préalablement assurée du consentement de la cour de Russie. Que les ministres russiens pouvaient être persuadés que, si je n'avais pas pris ma revanche contre la Saxe pour toutes les algarades qu'elle m'avait faites depuis quelque temps, rien ne m'en avait retenu que la considération que j'avais pour l'impératrice de Russie et pour ne la pas inquiéter sur une chose qu'elle m'avait paru désirer; mais que, si la Saxe venait m'attaquer dans la Silésie, il me serait permis alors, selon toutes les règles du droit naturel et de guerre, de me défendre contre de pareilles insultes et de ne garder plus aucunes mesures avec la Saxe, tant pour l'insulte qu'elle me ferait que pour venger le mépris des sages