1693. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.
Berlin, 19 janvier 1745.
Les lettres qu'on reçoit présentement des frontières de la Russie ne parlent que de grands préparatifs de guerre par tout l'empire et particulièrement en Livonie, d'où l'on me mande que les régiments qui y sont en quartier, ont été payés en plein de tous leurs arrérages, et que de plus on a remis entre les mains du commissariat une assez considérable somme d'argent pour l'avoir à la main en cas de besoin.
Je suis d'ailleurs informé par un canal très sûr que la cour de Russie a envoyé tout fraîchement un ordre circulaire à tous ses ministres dans les pays étrangers, par lequel Sa Majesté Impériale leur donne avis des arrangements qu'elle a pris pour tenir prêt à marcher au premier commandement un nombre considérable de troupes régulières et irrégulières, et leur enjoint de faire connaître, au cas qu'on leur en parle, et<17> non autrement, que ces préparatifs ne se faisaient dans aucune autre vue que pour conserver la tranquillité dans le Nord et pour empêcher que le feu de la guerre ne s'allumât dans le voisinage de la Russie; qu'au reste Sa Majesté Impériale était résolue de vivre en paix et en bonne intelligence avec tous ses voisins, et que le public serait pleinement convaincu de la sincérité de ses sentiments pacifiques, pourvu que certaines intrigues qui se trament en Pologne n'aient point de suite, qu'il ne s'y forme pas des confédérations, ou que, quelqu'un des alliés de l'Impératrice étant attaqué, elle ne se trouve point dans la nécessité de lui prêter assistance en conformité de ses engagements.
Vous jugerez sans peine combien ces phénomènes doivent me donner à penser, considéré surtout que le prétexte dont on tâche de colorer les préparatifs en question, paraît extrêmement recherché, n'y ayant pas la moindre apparence de confédération ou de troubles en Pologne, et les intrigues que la cour de Russie allègue pour cet effet, étant entièrement chimériques et de l'invention du ministère de Dresde, de sorte qu'on viendra difficilement à bout de persuader le public que les mesures que la Russie prend pour rendre ses troupes mobiles, visent uniquement à maintenir la tranquillité du Nord, que personne ne pense de troubler.
J'avoue qu'à la vue de toutes ces circonstances j'ai de la peine à m'empêcher de soupçonner que les cours de Londres et de Saxe ne soient déjà convenues de leur fait avec celle de Russie; que la dernière ne se soit positivement engagée de leur fournir au printemps prochain un corps auxiliaire de troupes russiennes, et que toutes les belles promesses et assurances que vous avez reçues des deux Chanceliers, ne vous ont été prodiguées que pour vous mieux endormir et pour vous empêcher de sentir la mêche.
De quelque façon que l'on envisage la chose, il n'est pas croyable que la cour de Russie, malgré le dérangement de ses finances et l'épuisement de ses caisses dont vous m'avez si souvent entretenu, fasse gratuitement une aussi forte dépense que celle qu'exigent ses dispositions militaires d'à présent, de sorte qu'il faut absolument que la Russie ait touché secrètement de l'argent étranger et qu'elle ait un dessein caché qui ne sera vraisemblablement pas à mon avantage, puisque l'on vous en fait mystère.
Je compte néanmoins qu'étant présentement à Pétersbourg, vous trouverez moyen par vos amis de découvrir le pot aux roses. Il m'importe extrêmement d'être bientôt éclairci là-dessus, et vous n'épargnerez rien pour m'en fournir des lumières sûres et exactes. Je ne juge pourtant pas convenable que vous témoigniez de l'inquiétude sur ce sujet. Bien au contraire, vous ne ferez pas mal de glisser dans vos entretiens avec les ministres, si l'occasion vous y conduit, qu'étant informé par le bruit public sur les dispositions qui se faisaient en Russie pour faire marcher des troupes, je me flattais que le contingent auxiliaire que je venais de réclamer, en serait du nombre, d'autant plus que j'étais<18> le seul allié de Sa Majesté Impériale qui se trouvât dans le cas de lui demander assistance, ni le pays d'Hanovre ni la Saxe n'ayant été attaqués jusqu'ici de personne.
Federic.
H. Comte de Podewils.
Nach dem Concept.