1706. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆEFFEN A MUNICH.

Berlin, 29 janvier 1745.

J'ai reçu toutes vos dépêches des 19, 20 et 21 sur la maladie et la mort de l'Empereur.

C'est avec la plus vive douleur que j'ai appris un événement aussi funeste qu'inopiné, et je partage sincèrement les regrets que la perte d'un aussi digne chef de l'Empire que feu ce grand Prince doit naturellement causer à toute son auguste maison et à tout bon patriote allemand. Vous pouvez le témoigner préalablement de la manière la plus énergique au jeune Prince son successeur et à l'Impératrice sa mère, en les assurant que je n'abandonnerai jamais les intérêts de la maison de Bavière et que je suis persuadé que le roi de France et tous ceux qui étaient attachés à feu l'Empereur, se trouvent dans les mêmes sentiments; qu'il ne fallait point perdre courage ni se laisser abattre entièrement et encore moins se remettre à la discrétion et entre les mains de ses plus cruels ennemis. Que tout n'est point perdu, mais qu'avec la fermeté, plus nécessaire en pareil cas que jamais, et l'assistance des alliés de la maison de Bavière, elle trouverait moyen de vaincre enfin tous les obstacles et de parvenir à un accommodement honorable.

C'est maintenant le point capital, auquel vous devez travailler avec la plus grande application, de concert avec le sieur de Chavigny, pour empêcher que la cour où vous êtes, réduite au désespoir par l'état désolé de ses affaires, ne se jette entre les bras de la reine de Hongrie, qui fera tout au monde pour l'attirer, et qui pourrait bien y être secondée puissamment par la mère et par l'électeur de Cologne, comme oncle du jeune électeur, aussi bien que par tout le conseil de feu l'Empereur, ennemi du comte de Torring et des Français et las au possible des calamités de la guerre et de la ruine de leurs fortunes particulières.

Au reste, on a raison de songer à conserver et à faire valoir les prétentions de feu l'Empereur sur la succession de la maison d'Autriche,<29> et il ne faudra point hésiter à le déclarer non seulement à l'Empire, mais aussi à toute l'Europe. Il me semble qu'une pareille démarche, soutenue avec fermeté, pourrait dans le commencement suffire pour faire connaître qu'on n'est point d'humeur de renoncer à des droits si respectables, sans obtenir une satisfaction raisonnable.

Mais il me semble qu'il faudrait se contenter d'abord de ces précautions générales, sans prendre des titres qu'on ne peut guère se flatter raisonnablement de pouvoir soutenir, et qui n'ajoutent ni ôtent rien de la force de ces prétentions, mais qui pourraient être sujets à de terribles inconvénients, si on n'est point en état de les soutenir.

Voilà ce que je pense sur l'idée du sieur de Chavigny que le jeune Électeur devrait se faire proclamer roi de Bohême. Je doute fort que la France approuve cette façon de penser. Un vain titre ne donnerait pas plus de droit à ce jeune Prince qu'il n'en a déjà, et quelle apparence y a-t-il qu'il puisse jamais parvenir à la possession du royaume de Bohême? Une pareille démarche d'éclat serait d'abord capable d'attacher le roi de Pologne plus que jamais à la cour de Vienne et de lui faire rejeter tous les partis qu'on pourrait lui proposer, avec le temps, pour lui faire abandonner les intérêts de la reine de Hongrie et embrasser ceux du jeune Électeur. Sans compter que ce Prince, en prenant le titre de roi de Bohême, se trouverait entièrement isolé et hors de tout commerce et correspondance, tant avec les autres Électeurs et États de l'Empire qu'avec toutes les cours étrangères, excepté peut-être la France; ce qui, dans la situation présente des affaires, est le plus grand inconvénient qui lui pourrait arriver, surtout dans l'Empire, quand il s'agirait de faire valoir ses droits électoraux et ceux du vicariat, personne ne voulant reconnaître sa qualité de roi de Bohême ni avoir sur ce pied-là commerce, correspondance et communication avec lui, tandis qu'il se serait mis dans la fâcheuse situation d'être obligé de soutenir un titre qu'il aurait pris mal-à-propos, et dont peut-être il faudrait se laisser dépouiller avec le temps.

J'avoue que moi-même, je serais fort embarrassé à cet égard, puisque vous savez que, depuis la paix de Breslau jusqu'à la mort de l'Empereur, j'ai évité toujours soigneusement de lui donner le titre de roi de Bohême.

Ainsi vous n'épargnerez rien, tant auprès du ministère du jeune Prince que même auprès du sieur de Chavigny, pour rectifier ces idées, ou pour qu'au moins on ne se précipite point dans une pareille démarche, mais qu'on consulte et se concerte préalablement là-dessus avec tous ses alliés. Je crois au moins que c'est le parti le plus sage qu'on peut prendre d'abord.

Un article qui mérite encore une très grande attention est le vicariat de l'Empire.

Vous savez que, par la dernière capitulation, il a été statué que la diète de l'Empire continuerait pendant l'interrègne sous l'autorité de<30> vicaire, quoique cet article s'y est glissé contre ma volonté et malgré mes protestations, comme très préjudiciable aux droits et prérogatives des autres électeurs.

Cependant, comme le roi de Pologne en qualité de vicaire d'une partie de l'Empire, fera bien valoir cette prérogative à la Diète, et que cela lui donne une très grande influence sur les affaires générales en Allemagne et sur les autres États de l'Empire, il faut, pour le contrebalancer, de toute nécessité que les deux cours électorales de Bavière et de Mannheim en fassent autant et qu'elles se concertent au plus tôt sur l'activité de l'exercice de leur vicariat, pour qu'elles partagent au moins l'autorité de l'électeur de Saxe et pour qu'elles conservent la grande influence que cette qualité leur donne dans les affaires de l'Empire et principalement dans les cercles de Souabe, de Franconie et du Rhin, comme étant du ressort de leur vicariat. Mais il ne faudra point s'arrêter à des disputes frivoles, à des jalousies et à des animosités mal placées entre les deux maisons électorales de Bavière et palatine, pour l'exercice de cette dignité, comme on l'a fait dans le dernier interrègne et perdu par là tous les avantages qui leur en devaient revenir, de sorte que selon mon opinion la maison de Bavière devrait établir une alternative du vicariat entre elle et l'Électeur palatin et en laisser l'exercice au dernier comme le plus âgé, sauf à l'avoir solidairement à son tour dans un autre interrègne.

Vous ne sauriez assez recommander cet article de concert avec le sieur de Chavigny, puisque depuis la perte du chef de l'Empire il ne reste quasi point d'autre ressource aux alliés de la maison de Bavière, pour la direction des affaires de l'Empire, en partie, et pour contrebalancer l'autorité de la Saxe, que l'exercice du second vicariat.

Vous ne manquerez pas non plus d'insinuer que pendant les deux derniers mois de la minorité du jeune Électeur, qui pour être majeur selon la bulle d'or doit avoir dix-huit ans accomplis, on se garde bien de laisser la moindre direction ou influence dans les affaires à l'électeur de Cologne, qui en qualité d'oncle du jeune Électeur prétendra à la tutelle dans ce court intervalle, puisque ce serait le livrer à la cour de Vienne et à ses alliés, pour lesquels ce Prince a tant d'attachement, comme tout le monde le sait.

J'espère que vous m'informerez au plus tôt des résolutions qu'on aura prises sur tous ces différents objets, comme aussi des arrangements qu'on aura faits pour se soutenir en Bavière, pour le maniement et la direction des affaires, du caractère des nouveaux ministres et de ceux qui ont le plus de part à la confiance de ce jeune Prince, de ses sentiments et disposition, de l'autorité que l'Impératrice sa mère a conservée sur lui, de sa façon de penser sur la situation présente des affaires, et généralement de tout ce qui peut me donner une juste idée de la nouvelle cour, et d'avoir l'oeil ouvert sur les intrigues qu'on<31> pourrait employer pour la réconcilier avec celle de Vienne, et sur toutes les tentatives que la dernière pourrait employer pour y réussir.

Federic.

H. Comte de Podewils.

Nach dem Concept.